Le
siège de Druim Damhghaire
traduction
fr. de Marie-Louise Sjoestedt
in
Revue Celtique. Volume 43; 44, Paris, Émile Bouillon
(1926; 1927)
Introduction
Le
récit que nous publions ici est extrait du Book of Lismore, fos
126a1–140a2, d' après Stokes (Lives of the Saints)
ou fos 168a1–182a2, d' après la numération que porte le
manuscrit. Celui-ci se trouve actuellement déposé à la
bibliothèque de Chatsworth House (Derbyshire). Il en existe à
Dublin quatre copies. Trois copies conservées à la Royal Irish
Academy: 1) Une copie de la main d' O'Curry, fo. 169–176. Cette
copie s'arrête au milieu du section 70. 2) Une copie du 19e siècle,
R.I.A. 23 C 6 (et non 23 C 16, comme l'indique d' Arbois de
Jubainville, Catalogue, p. 141). Cette copie s'arrête
également au milieu du section 70. 3) Une copie de la main d'
O'Longan fo. 176a1–182a2 qui donne le texte depuis le point où
s'arrête la copie d' O'Curry jusqu'à la fin. Enfin une copie
complète de la main d' O'Longan, qui est en la possession du Dr
Douglas Hyde 2.
Le
Book of Lismore est seul à nous conserver le texte du Forbuis
Droma Damhghaire. D'après Arbois de Jubainville ( Catalogue,
p. 141) et Stokes ( Lives of the Saints from the Book of
Lismore, 36), un autre texte de ce récit se trouverait dans
le Book of Lecan, fo. 167. En fait le Book of Lecan ne nous conserve
là qu'une courte note sur Fiacha Muillethan, note où se
trouve relatée en' quelques, lignes, après la conception et la
naissance de ce prince, la guerre qu'il soutint contre Cormac mac
Airt, et qui fait l'objet du présent récit (cf. Stokes RC
XI, 41–45).
Le
‘ Siège de Druim Damhghaire’ se situe, dans
l'ensemble de la littérature épique irlandaise, parmi une série de
textes de même type. On sait que les récits épiques irlandais se
répartissent en différents cycles: cycle mythologique, relatant les
aventures de la Tuatha De Danann; cycle d' Ulster dont les principaux
héros sont Cuchulinn et le roi Conchobor; cycle ossianique, consacré
à Finn, a Ossian et à leurs compagnons; à cela viennent s'ajouter
une série de cycles secondaires qu'on peut réunir sous
l'appellation générale de ‘Cycle des rois’. Un grand nombre de
ces récits mi-historiques, mi-légendaires ont trait aux règnes de
Conn Cetchathach roi de Connaught (vers l'an 170 de notre ère) et de
son petit-fils Cormac mac Airt, grand roi d' Irlande de l'an 227 à
l'an 266 de notre ère, d' après les annales des Four Masters
(cf. Best, Bibliography of Irish Literature, pp. 106 et
108). C'est au cycle de Cormac mac Airt que se rattache le récit du
‘ Siège de Druim Damhghaire’.
Dans
quelle mesure ce récit nous conserve-t-il le souvenir d' événements
historiques? Ceci est malaisé à délimiter. Pour quelques
paragraphes du début nous pouvons comparer notre texte avec les
passages correspondants des annalistes. La bataille de Magh Mucraimhe
(A.D. 195) nous est connue par ailleurs, et par les annales et par
l'épopée (d. Cath Maige Mucrima, éd. Stokes,
RC, 13, 426–74). Le caractère de Cormac tel qu'il nous apparait au
début de ce récit (section 2, 6, 7), juge et roi, soucieux de
légalité et préoccupé de géographie administrative, concorde
bien avec ce que les Four Masters (A.D. 227) nous apprennent de ce
roi, qui, le premier, fixa les règles du droit, recensa les royaumes
et seigneuries d' Irlande, et régla leurs rapports fiscaux.
En
revanche, pour la suite de ce récit, la comparaison avec les
annalistes nous fait défaut. Ni les Four Masters, ni
Tighernagh ni aucun autre annaliste dont nous ayons eu connaissance
ne fait allusion à une expédition de Cormac mac Airt contre Fiacha
Muillethan, roi de Munster. Si l'on songe à la minutie avec laquelle
les batailles livrées par Cormac sont énumérées dans les Four
Masters, le fait parait surprenant. Doit on l'expliquer par le
caractère entièrement légendaire de cette expédition? ou par la
répugnance des historiens de Leath Cuinn à relater une
victoire de Leath Mogha?
A
défaut des annales, l'Histoire d' Irlande de Keating
nous conserve le récit du Siège de Druim Damhghaire
(II, 3 18-322). Sa source principale parait au reste être le texte
du Book of Lismore, qu'il suit exactement en l'abrégeant et en
retranchant beaucoup du côté merveilleux de ce récit. Sur quelques
points cependant il semble que Keating ait eu d' autres
sources. Ainsi, tandis que dans le texte de Lismore les druides
alliés de Cormac viennent de Sith Cleitigh, sur la Boyne (section
21, 44), d' après Keating ces druides seraient Ecossais (II,
318, draoithe Albanacha 'n-a fochair ann).
Il
est également impossible de préciser la date à laquelle a pu être
composé ce récit. Le manuscrit dans lequel il nous a été conservé
est du 15e siècle, mais le Forbuis est déjà mentionné
dans la liste de récits épiques du Book of Leinster (fo 189 b). Il
existait donc déjà une version de ce texte, dès la première
moitié du 12e siècle. Rien ne prouve au reste que cette version
soit celle qui nous est conservée par le Book of Lismore. En fait,
le récit tel que nous le publions ici semble avoir été sinon
composé du moins rédigé à une date sensiblement plus basse. Il
serait intéressant de rechercher et de dater les allusions et les
références au ‘ Siège de Druim Damhghaire’ qui
peuvent se rencontrer dans la littérature médiévale irlandaise.
Sans doute ne seraient-elles pas bien nombreuses. Les noms de la
plupart des héros de ce récit, exception faite des personnages
historiques, semblent inconnus par ailleurs, et les répertoires
onomastiques que nous a laissés le moyen âge irlandais (e. g. Cóir
Anmann) ne les mentionnent pas. Cependant le distique cité
section 63 prouve (si du moins Cormac le Glossateur en est bien
l'auteur), que Mogh Ruith avait déjà sa légende à la fin du 9e ou
au début du 10e siècle.
Quelle
que soit la date de composition de ce récit, il nous conserve
assurément le souvenir de bien des coutumes et des croyances
anciennes. Malgré quelques références à la magie orientale et au
folk-lore chrétien (cf. section 83, 97, et section 59, où apparaît
à côté du nom de Simon le Magicien celui de l'apôtre Pierre qui
aurait contribué à l'instruction de Mogh Ruith dans l'art magique
section 113, rhétorique) le fond en est purement irlandais et païen.
O'Curry, dans ses Manuscript Materials et dans ses
Manners and Customs a signalé à plus d' une reprise
l'importance de ce texte si riche en détails curieux et inédits sur
l'art druidique et les pratiques et superstitions diverses s'y
rattachant.
Le
‘ Siège de Druim Damhghaire’ fournit par ailleurs
bon nombre d' indications sur la topographie de l'Irlande médiévale,
indications d' autant plus précieuses qu'à côté du nom usité à
l'époque où fut rédigé ce récit figure le plus souvent le nom
usité antérieurement. Ces données ont au reste été utilisées
par Hogan dans son Onomasticon. Nous n'avons pas
jugé utile de rappeler dans l'Index des noms géographiques qu'on
trouvera à la fin de cette édition les identifications de lieu
possibles, et nous renvoyons ici une fois pour toutes à l'ouvrage de
Hogan.
La
langue du Forbuis Droma Damhghaire, ne donne lieu à
aucune observation particulière. Elle est sensiblement la même que
celle qu'a décrite Wh. Stokes dans ses Lives of the
Saints from the Book of Lismore. Toutefois, comme il fallait
s'y attendre, le texte épique conserve, de-ci de-là, quelques
formes et formules archaïques qui tranchent sur l'aspect
moyen-irlandais de l'ensemble. Citons ‘sethfaind’, pour
‘sefaind’, prétérit de ‘senn-’, section 4; ‘dotraei’,
section 7; ‘nit ain’, section 28.
La
langue des rhétoriques est plus difficilement analysable, le texte
en étant souvent inintelligible, et probablement parfois corrompu.
Aussi avons-nous rejeté en appendice les morceaux lyriques de ce
genre, sans même excepter ceux qui sont partiellement intelligibles.
Texte
Deux
nobles rejetons de bonne race vivaient en Irlande; c'est d' eux qu'il
sera question dans la suite de ce récit: Fiacha Muilleathan mac
Eoguin, disciple de Mogh Ruith, et Cormac mac Airt meic Cuinn. En un
même jour périrent leurs pères à la bataille de Mucraime; c'est
aussi le même jour qu'ils furent conçus, le mardi qui précéda le
départ pour la bataille de Mag Mucraime; c'est le même jour qu'ils
naquirent, le mardi qui suivit de sept mois ce mardi-là, si bien que
tous deux étaient des enfants de sept mois.
Cormac
accéda au trône d' Irlande, qu'il devait occuper longtemps; quelque
temps après Fiacha accéda au trône de Munster, du vivant de
Cormac.
Tout
le monde décrivait à Cormac la demeure d' Aengus mac ind Oicc. "Il
n'y a pas un mot de vrai là-dedans", dit Cormac. — "Pourquoi
donc?" dirent-ils. — "Si c'était vrai", dit-il, "je
ne serais pas ainsi dans la demeure où j'approfondis les principes
de l'art, seul, comme j'ai coutume de l'être, sans que personne
vienne me voir de sa part, et sans que lui-même vienne". Car
Cormac se tenait dans des demeures de secret, seul, décidant de cas
judiciaires, car il était juge en même temps que roi; c'est lui,
Cairpre Liffechair et Fithel qui fixèrent les premiers les règles
de la procédure et du droit.
Ces
propos furent répétés à Aengus; il fit appel à toute sa science
et à tout son art, car il prévoyait que c'était pour l'interroger
sur quelque sujet que Cormac le réclamait (cela lui avait été
révélé par divination). Et il vint un jour dans la maison où se
trouvait Cormac; son apparence et son équipage n'avaient rien que d'
ordinaire lorsqu'il entra, comme si ç'avait été un des mercenaires
de Cormac qui entrait. Et il se tint dans la partie de la maison la
plus éloignée de Cormac. Celui-ci renvoya sa (cour?) et demanda:
"Es-tu celui que nous réclamions?" — "Oui",
dit Aengus, "pour quelle raison m'as-tu réclamé?" —
"Parce que je voulais t'interroger sur ce qui m'adviendra, si tu
le sais". — "Je le sais", dit-il. — "Éprouverai-je
des revers?" dit Cormac. — "Oui", dit Aengus, "tu
as le choix: préfères-tu les éprouver au début ou au milieu ou à
la fin de ton règne?" — "Accorde-moi la prospérité au
début et à la fin", dit Cormac, "et lorsque mon règne
sera à son apogée, au milieu de ma vie, que l'épreuve s'abatte
alors sur mes domaines; de quoi s'agit-il au juste?" dit Cormac.
— "[obscur]", dit Aengus. "Il surviendra de
ton vivant une telle épidémie sur le bétail qu'on cherchera en
vain un seul boeuf dans les pays des Finn (?) et dans le Leinster et
dans les sept tribus de Tara et dans tes propres villes". —
"Quelle en sera la cause?" dit Cormac. — "Je ne te
le dirai pas", dit Aengus, "mais il est une seule chose que
je te dis: soumets tes enfants à ta volonté, et ne suis
aucun conseil de femme, d' esclave ou d' intendant". Là-dessus,
il prit congé de Cormac et s'en retourna à Brugh.
Cormac
récita ce poème en décrivant le jeune homme à sa suite:
-
Il m'est apparu sur la frontière (?) de Tara
un jeune homme beau et bien fait.
Supérieure à toute beauté est sa beauté;
une broderie d' or orne son vêtement. -
Un tympanon d' argent est dans sa main,
les cordes du tympanon sont d' or rouge.
Plus mélodieux que toute musique sous le ciel
est le son des cordes de ce tympanon. -
Il a archet de crin qui fait résonner cent douces musiques;
au-dessus de sa tête, sous deux oiseaux.
Et ces oiseaux, de façon qui n'est point sotte,
étaient en train de jouer du tympanon. -
Il s'assit près de moi, de façon aimable,
en me jouant une musique mélodieuse et douce,
puis il apparut
[obscur] ;
si bien qu'une ivresse s'empara de mon esprit. -
Je fais une prophétie véridique,
juste, quoiqu'il ne sera pas juste de l'écouter.
Que ce qu'il a dit vous plaise ou non,
tout ce qu'il a prédit s'accomplira. -
Elle m'a rendu impatient de toute compagnie,
la brièveté de son séjour auprès de moi.
Je m'afflige de ce qu'il m'ait quitté.
Cher m'est le moment où il m'est apparu.
Il m'est apparu.
Cormac
poursuivit son règne jusqu'au jour où survint la disette de bétail;
quelque subtil qu'il fût, il ne s'avisa de cette disette qu'au
moment où elle se produisit. Le sort avait décrété que celle-ci
ferait tourner la fortune de son règne.
Cormac
reçut cette année-là le tribut que lui devait chacune des cinq
provinces d' Irlande, et qui était de cent quatre-vingts vaches par
province. Cormac distribua ce tribut aux sept tribus principales de
Tara, car il était survenu une mortalité sur leur bétail; et il
avait toujours la main ouverte pour distribuer.1
Lorsque
Cormac eut fini de distribuer les boeufs, son intendant vint le
trouver; on l'appelait Maine Mibriarach mac Miduaith. — "Cormac,
as-tu distribué tous les boeufs?" dit-il. — "Oui",
dit Cormac. — "Je ne sais que faire", dit l'intendant,
"je ne saurais te fournir de quoi entretenir (?) la maison de
Tara, fût-ce une seule nuit, si du moins, c'est sur les boeufs qu'on
compte pour cela (?). Et la cause en est que tous tes troupeaux ont
succombé". Cette nouvelle stupéfia Cormac, et il dit: — ‘A
quoi pensais-tu, intendant? que ne m'as-tu pas avisé de cela avant
que mes mains fussent vides, lorsque j'ai encaissé mes tributs? car
maintenant je n'ai rien à te donner, et il ne me plaît pas de faire
tort à personne; du moment que les tributs de l'année m'ont été
versés, je n'ai aucune rentrée (à attendre) avant la fin de
l'année.’
Ensuite
Cormac se rendit dans sa demeure d' étude, et il se tint là,
méditant sur les mystères de la science sans personne pour le
servir, sauf quand on lui portait sa nourriture; il y resta trois
jours et trois nuits.
L'intendant
chercha comment procurer de l'argent au roi, sans commettre d'
illégalité. Et ses recherches portèrent leur fruit. — "Cormac",
dit-il, "est-ce ce que je t'ai dit qui te tient plongé dans le
silence?" — "Oui", dit Cormac. — "Je t'ai
trouvé une source de revenu," dit-il, "et il me semble que
tu reconnaîtras toi-même la légalité de ce revenu". —
"Qu'est-ce?" dit Cormac. — "As-tu fait des
recherches sur les divisions de l'Irlande?" dit Maine. —
"Non", dit Cormac. — "J'en ai fait", dit Maine,
"et j'ai constaté que, des cinq provinces d' Irlande, deux sont
comprises dans le Munster, et depuis que tu as accédé au trône tu
n'as perçu du Munster que le tribut d' une seule province. Par
ailleurs c'est un homme du Munster qui tua ton père à la bataille
de Mag Mucraime: Mac Con, mac Maicniad meic Luigdeach, et c'est bien
le moins que Fiacha te paye des dommages et intérêts, car il est
frère de cet homme et a succédé au trône de Munster". —
"Mille mercis", dit Cormac, "tu as raison".2
Il en conçut une joie et une fierté aussi grandes que si, proscrit
d' Irlande, il y eût été rappelé de nouveau; si grande était la
joie qu'il éprouva.
Il
réunit ensuite et convoqua les seigneurs et vassaux de l'Irlande du
Nord, et il leur dit tout, et tous remercièrent l'intendant. Après
que Cormac eût conféré avec ses troupes, il dit qu'il n'entendait
prendre aucun repos qu'il n'eût planté sa tente en Munster. —
"N'en fait rien", dirent-ils, "mais que des messagers
aillent réclamer de ta part ces dommages et intérêts, soit
cinquante vaches aux cornes argentées, et le tribut d' une province,
et ceci est légal et non illégal, et ils ne sauraient en éluder le
payement."
Cormac
envoya ses messagers dans le sud pour réclamer cela, chez Fiacha.
Ces chevaliers étaient Tairec Turusach et Berraidhi Inasdair. Et
Cormac dit: "Si on vous fait des objections, dites-leur que,
quoiqu'aucun roi n'ait réclamé encore ce tribut, je ne rabattrai
rien du tribut auquel j'ai droit depuis que je suis monté sur le
trône et qui ne m'a pas été versé jusqu'à présent".
Ils
s'en allèrent alors vers le Sud jusqu'à la demeure de Fiacha, sur
la colline où se trouvait la résidence royale, et que l'on appelle
aujourd' hui Cnoc Raphann. On y souhaita la bienvenue aux chevaliers
du roi d' Irlande. Ils exposèrent l'objet de leur mission: "Cormac",
dirent-ils, "nous a envoyés vers vous, pour vous réclamer son
dû". — "Qu'est-ce donc?" dirent les gens de
Munster. "Deux fois cent quatre-vingts vaches, car chaque
province paye une fois ce nombre et vous n'en avez fourni que la
moitié depuis le début de son règne. Et c'est sous la pression de
la nécessité qu'il vous réclame cela, car une mortalité du bétail
s'est déclarée dans les sept tribus et les principaux forts de
Tara. Et de plus c'est vous qui avez tué son père et vous lui devez
légalement une compensation."
Fiacha
dit cela aux hommes de Munster. Ceux-ci dirent qu'ils ne fourniraient
pas ce tribut. — "Cependant", dirent-ils, "du moment
que c'est la nécessité qui a provoqué cette ambassade, nous lui
enverrons un boeuf de chaque ferme de Munster, pour lui venir en
aide; mais du moment que nos pères ne nous ont pas légué cette
obligation, ce n'est pas à nous à lui verser un autre tribut que
celui qu'ils versèrent et à l'imposer à nos fils". Et il
dirent à Fiacha: "Envoie des messagers pour parler à Cormac,
car sans doute n'est-ce pas lui qui exige de nous une si lourde
redevance."
Les
messagers de Fiacha, Cuilleand Cosluath et Leithrinde Leabar,
partirent pour cette mission. Ils arrivèrent dans le Nord auprès de
Cormac et lui dirent: "Est-ce de toi que vient le message que
nous récitèrent tes messagers?" — "Oui", dit
Cormac. — "Dans ce cas", dirent-ils, "on te donnera
un boeuf de chaque domaine de Munster, pour t'obliger, mais que cela
ne crée pas un précédent". — "Je préfère",
dit-il, "sauvegarder mon droit à perpétuité, que recevoir
cette taille considérable une fois versée". Et il renvoya dans
le Sud ses messagers, qui réclamèrent le tribut.
Fiacha
réunit les hommes de Munster et leur dit: "Prenez une décision
à ce sujet". Puis il se retira.
Ils
prirent alors une décision honorable. Quand bien même chacun des
vassaux (?) n'aurait plus d' autre ressource que le lait d' une seule
vache, et serait réduit à la tuer et à se trouver ensuite sans
nourriture et exposé successivement à toutes sortes de privations,
quand bien même il lui suffirait pour faire la paix de verser ce
tribut, ils ne se soumettraient pas. Ils vinrent ensuite trouver
Fiacha. — "Qu'avez-vous décidé?" dit-il. — "Voici",
dirent-ils. — "Je vous rends grâces", dit-il, "car,
si vous aviez pris le parti de la soumission, je vous aurais quittés,
pour aller en un lieu où je n'aurais jamais entendu parler de tout
cela". — "Ce n'est pas que nous ayons le moyen de
l'empêcher," dirent-ils, "mais il peut bien défier la
province; la violence ne constitue pas un titre de propriété et
l'illégalité ne saurait donner lieu à prescription."
Les
messagers allèrent ensuite trouver Cormac. Quant aux hommes de
Munster, ils envoyèrent leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux
et leur bétail dans les îles, les îlots et les divers refuges
qu'offrait la province; les gens d' un rang à avoir une suite (?),
et ceux qui étaient en état de porter les armes se rendirent auprès
de Fiacha, à Cenn Claire.
Lorsque
les envoyés de Munster arrivèrent auprès de Cormac, ils lui
dirent: "Ne compte pas sur les gens de là-bas pour payer ton
tribut; fais ce que bon te semblera". Cormac accueillit cette
nouvelle avec fureur et en fut tout épouvanté, car il considérait
que c'était le signe précurseur d' une grande lutte que d'oser lui
tenir tête quant à son droit, alors qu'il ne réclamait rien que de
légal, du fait qu'il était le grand roi d' Irlande.
Les
principaux druides de Cormac lui furent amenés: c'étaient Cithach,
Cithmor, Cecht, Crota, et Cithruadh; ils avaient exercés les
fonctions de divinateurs sous Conn, Art et Cormac, sans qu'on les eût
jamais pris en faute. — "Faites-moi au plus tôt une
prophétie", dit Cormac: "quelle sera l'issue de
l'expédition où je m'engage?" — "Nous le devinerons
pour toi", dirent-ils, "pourvu que tu nous donnes le temps
nécessaire pour faire notre prophétie". — "Soit",
dit-il.
Ils
firent appel à leur art et à leur science la plus haute, et il leur
fut révélé que cette expédition en Munster serait l'origine des
infortunes de Cormac. Ils vinrent le trouver. — "Que vous
a-t-il été révélé?" dit Cormac. — "Voilà ce qui
nous a été révélé, si singulier qu'en soit l'énoncé. Nous
désapprouvons ton expédition en Munster. Si tu y vas, sache que la
tyrannie que tu cherches à exercer contre eux, eux chercheront à
l'exercer contre toi."
"Dis,
Cithruadh", dit Cormac, "qu'est-ce qui t'a été révélé?"
— "Le voici: il n'est pas en mon pouvoir de t'empêcher de
partir, car tu trouveras une épouse qui t'y encouragera. Mais,
cependant, c'est là l'origine de tes malheurs". Et il dit la
rhétorique suivante: "O Cormac le querelleur.[obscur]
attache-toi au juste et au bien, ô Cormac."
"Qu'est
ce qui t'a été révélé, à toi, Crota", dit Cormac. — "Je
vais te le dire", dit Crota. Et il dit la rhétorique suivante:
"Rends la justice, ô Cormac; reçois la justice, ô Cormac. Il
n'est pas juste de faire tort à des hommes libres, etc.".
"Qu'est-ce
qui t'a été révélé, ô Cecht", dit Cormac. — "Tu vas
l'entendre", dit Cecht, et il dit la rhétorique suivante. "Pays
de Mogh, c'est pour ton malheur qu'il y viendra", etc.
"Qu'est-ce
qui t'a été révélé, Cithach?" dit Cormac. — "Je vais
te l'apprendre", dit Cithach. "J'ai une nouvelle à
t'apprendre, ô fils d' Art", etc.
"Qu'est-ce
qui t'a été révélé, ô Cithmor?" dit Cormac. "Tu vas
l'entendre", dit Cithmor. "Apprends de moi, descendant de
Conn", etc.
Il
se prit de haine pour les druides, qui contrariaient ses desseins, et
il leur dit: "Ce n'est pas vous qui m'encouragerez à partir
pour cette expédition. Mais sachez que si je vous trouve en faute je
ne vous épargnerai pas". — "Tu ne nous as jamais trouvés
et ne nous trouveras jamais en faute", dirent-ils. Et voilà
comment il arriva que Cormac était en quête par toute l'Irlande d'
un moyen de les prendre en faute, mais en vain.
Un
jour il s'en alla à la chasse au lièvre, au Nord-Est de Sidh
Cleitig. C'est en ce lieu que ses chiens firent partir la bête, et
que toute sa suite se lança à la suite des chiens, si bien qu'il se
trouva seul. Un épais brouillard l'environna et il s'endormit sur la
colline. Si opaque était le brouillard qu'on aurait cru qu'il
faisait nuit. Même si on lui avait joué de la musique et de la
cornemuse, il n'aurait pu mieux dormir qu'il ne dormit là, au son
des abois des chiens, parmi les collines qui l'environnaient.
C'est
alors qu'il entendit une voix au-dessus de lui, et voici ce que lui
disait cette voix:
"Lève-toi, Cormac, beau dormeur de Cleiteach, que ne rends-tu ton nom durable et illustre dans toute l'Irlande par tes victoires sur tes ennemis?", etc.
"Lève-toi, Cormac, beau dormeur de Cleiteach, que ne rends-tu ton nom durable et illustre dans toute l'Irlande par tes victoires sur tes ennemis?", etc.
Cormac,
alors, se leva, et sa langueur le quitta quand il vit à sa droite
une jeune fille. C'était une merveille aux blanches mains, la plus
belle femme qui fût au monde: une tunique splendide l'entourait;
elle portait contre la peau une chemise brodée. Elle salua Cormac.
"Qui es-tu, toi qui me salues?" dit Cormac. "Je suis
Bairrfhinn Blaith (la belle aux cheveux d' or) de Bairche, la fille
du roi du Sidh Buirche, en Leinster. Je me suis éprise de toi, et
voici la première occasion que j'ai de te parler". — "Je
dormais", dit-il, "au son des abois des chiens, quand tu
m'as éveillé". "Par ma foi", dit la jeune fille, "il
ne convient pas à des hommes de ta sorte de chasser le lièvre. Ce
serait bien le moins que tu chassasses le sanglier ou le cerf, comme
faisaient les grands rois qui t'ont précédé. Car ces exercices
conviennent à la jeunesse; ce que tu fais ne sert qu'à ruiner la
force et la beauté par une lente décadence".
C'est
alors que la jeune fille dit: "Viens avec moi, Cormac, dans la
résidence féerique par delà Cleitech, là où demeure mon père
nourricier Ulcan mac Blair, et ma mère nourricière Maol Miscadach;
afin que je te prenne avec leur aveu comme mon époux et le compagnon
de ma couche." — "Je n'irai pas", dit-il, "sans
qu'on m'en accorde le salaire". "Cormac", dit-elle,
"je sais ce que tu cherches et ce qui te préoccupe: tu cherches
une troupe pour t'accompagner.
Eh
bien, je te donnerai une compagnie de druides, meilleure que celle
qu'eut aucun de tes prédécesseurs, à laquelle aucun étranger ne
pourra résister: les trois filles de Maol Miscadach: Errgi, Eang et
Engain. Elles prennent la forme de trois brebis brunes, aux têtes d'
os, aux becs de fer, égales dans le combat à cent hommes; nul ne
leur échappe vivant, car elles sont aussi rapides que l'hirondelle,
aussi agiles que la belette et que le glaive, et toutes les
nations du monde pourraient s'attaquer à elles sans leur trancher
brin ou poil."
"Nous
avons aussi deux druides mâles, qui viendront en outre à ton aide:
ce sont Colptha et Lurga, les deux fils de Cichal Coinblichtach. Ils
tueront en combat singulier tous les guerriers de la province où ils
iront, à moins que ceux-ci ne s'enfuient devant eux, car ils sont
tels qu'on ne peut les entamer ni d' estoc ni de taille. Aussi
longtemps qu'ils seront auprès de toi, ne suis aucun conseil que le
leur".
Tout
cela plut fort à Cormac; il secoua sa tristesse et s'en alla avec la
reine dans le domaine féerique, ce soir même: il dormit à côté
d' elle dans sa couche, et resta près d' elle trois jours et trois
nuits; on lui donna la troupe promise, et il s'en retourna à Tara.
Ses propres druides ne furent plus écoutés; leurs conseils ne
furent plus suivis, mais bien ceux de cette gent étrangère qui
était en faveur.
Cormac
envoya prévenir sa cour; tous se réunirent autour de lui. Il
annonça le secours qu'il avait obtenu, et tous se réjouirent de
cette nouvelle.
Là-dessus,
Cormac se mit en marche et parvint le premier soir à Comar na Cuan,
qu'on appelle aujourd' hui Comar Cluana hIraird; l'armée construisit
là des baraques et des abris, et c'est ainsi que fut établi le
camp.
Cithruadh
sortit du camp et marcha vers le Sud-est jusqu'à la rivière. Là il
vit un guerrier à la taille imposante, au chef gris, sur l'autre
bord du fleuve. C'était Fis mac Aithfis meic Fireoluis, habitant de
Leinster et grand druide de cette province; ils causèrent ensemble.
Fis demanda à Cithruadh où se trouvait Cormac et son armée,
Cithruath répondit, et ils composèrent ensemble ce poème:
Cithruadh
-
Cette nuit à Comar na Cuan
est campée l'armée,
à l'instigation
des enfants de Mael Miscaddach. -
Dis-moi, beau Cithruadh,
pourquoi Cormac a-t-il quitté Tara?
Jusqu'à ce soir
ce n'était pas l'usage du grand roi célébré des poètes (?) d' être en campagne. -
C'est pour demander le prix d' Art mac Cuinn
au petit-fils de Oilill Olom,
et le tribut d' une province — sans fraude
— que Conn Cétchathach n'avait pas coutume de demander. -
Ils feront que Cormac sera sans tribut,
les fils de Cichal. Ils seront acclamés.
Ils feront un affreux carnage de jeunes gens,
avec leurs regards (?) ensorcelés. -
De cette discussion sortira le savoir (?).
O mac Aithfhis mac Eoluis,
les vagues en seront rouges pendant un mois,
au-dessus des guerriers ... -
C'est pour son malheur qu'on va dans le Munster nourricier de chevaux,
ô fils véridique de Crudh Caecat ...
[obscur]
Fis
Cithruadh
Fis
Cithruadh
Fis
Cithruadh
-
Il ne m'arrivera rien de fatal,
avant un mois et un trimestre et une année
à dater de ce soir, lorsque viendra le sage des sages,
Mogh Ruith, à la tête des gens de Claire. -
Malheur à qui combattra
Donn Dairine à la noble apparence,
ou Failbe le combattant
lorsqu'il s'avance sur le champ de bataille. -
Il ne vaudra pas mieux de rencontrer (?) Mogh Corb,
ou Fiacha au jour de la poursuite.
Ces deux-là accompliront des exploits téméraires:
c'est à eux que reviendra le tribut de Cuan Comair.
Fis
Cithruadh
Comme
les druides terminaient leur conversation (et triste était le sort
qu'ils prédisaient à l'armée) les valets, les molosses (?) et les
palefreniers les entendirent; ils rapportèrent leurs paroles à
Cormac, et Cormac dit: "Allez; tuez l'un des druides, et frappez
l'autre, jusqu'à ce qu'il ne lui reste plus qu'un souffle de vie."
Les druides eurent révélation de cela; ils se séparèrent.
Cithruadh rentra au camp, sous une apparence déguisée, afin de ne
pas être reconnu.
L'autre
druide s'en retourna vers le Sud, et il tourna son visage par trois
fois vers l'armée, et leur envoya un souffle magique, grâce à sa
puissance magique; si bien que toute l'armée revêtit la même
apparence et la même forme que lui-même. Car tous avaient une mine
imposante et un chef gris comme lui. Et, dès qu'ils traversaient le
fleuve à la suite du druide, ils se mettaient à se massacrer les
uns les autres. Ils s'arrachaient leurs chevelures, se maltraitaient,
rendant coup pour coup; et chacun frappait de lourds coups,
combattant en manant, sur le front et la face des autres: car chaque
combattant prenait tout homme qu'il voyait pour le druide.
Lorsque
l'armée se rendit compte de ce qui se passait, ils ne comprirent pas
que c'étaient eux-mêmes qui se massacraient mutuellement, et ils
dirent: "une armée étrangère combat contre nous, à
moins que nous ne soyons les jouets de sortilèges efficaces."
Le
druide s'en alla ensuite, en laissant l'armée en cet état: il fut
révélé à Cormac que son armée avait été le jouet d' un
sortilège. Il ordonna qu'on lui ramenât ses gens au camp, et fit de
sanglants reproches aux druides en qui il avait placé sa confiance,
c'est-à-dire à Colphta et à ses compagnons. Ceux-ci dirent qu'ils
n'étaient pas responsables, car ce n'étaient pas eux qui avaient
conseillé de faire sortir les troupes. Ils se levèrent ensuite,
imposèrent un souffle magique sur les troupes et, par la force de
leurs sortilèges, ils les ramenèrent à leur forme première.
Les
hommes étaient alors tristes et découragés, couverts de blessures,
et réclamant les soins qu'on doit aux malades, sans qu'il y eût
cependant aucun cas mortel parmi eux.
Le
lendemain ils poursuivirent leur route vers l'Ouest, par Becmogh, et
par Coill Medoin, à travers le Sud-ouest de la province de Meath, et
parvinrent enfin à Ath in tSloig, qu'on appelle aujourd' hui Ath na
nIrlann. Ils firent là des abris et des baraques et plantèrent
leurs tentes.
Leurs
magiciens se mirent à examiner les nuages du ciel au-dessus de
l'armée. Crota traversa le gué et atteignit la rive opposée (la
rive ouest); il vit alors venir vers lui le druide de la province
voisine: celui que l'on nommait Fer Fatha. Il demanda à Crota quelle
était la cause de ce tumulte et de ce fracas au nord du gué, et il
commença ce poème, dont Crota fit les réponses.
-
Quel est ce tumulte au Nord du gué;
apprends-le moi, Crota, si tu as le temps.
Dis-nous — sans mauvaise humeur
— par qui est établi ce camp. -
Comme ils sont accoutumés à suivre Cormac (?) ...
ceux qui sont là, ô Fer Fatha.
C'est lui qui a établi ce soir
un camp avec ses armées. -
Pourquoi les armées sont-elles venues?
Dis-le moi, Crota, si ma demande est juste.
Vers quel pays se rendent-ils — sans leur en faire reproche
— et quelles réclamations font-ils valoir? -
Ce sont les enfants de Cichal qui les ont amenés du Nord,
avec le fils trompeur de Midhuath,
pour réclamer le prix d' Art mac Cuind
au petit-fils d' Oilill Ollum. -
C'est pour son malheur qu'il vient à la tête d' une armée nombreuse,
pour réclamer une indemnité à laquelle il n'a pas droit
— tant que Fiacha ne lui a pas réclamé le prix de son père Eogan. -
Si les armées de Magh Ratha entendaient
ce que tu dis là, Fer Fatha,
les armées du Munster montagneux n'empêcheraient pas
que tu ne reçoives un coup sur la tempe. -
Quel que puisse être leur nombre,
ils n'en seront pas moins écrasés.
Une action violente aura lieu.
C'est pour son malheur qu'il est venu vers eux
[obscur]
Fer Fatha
Crota
Fer Fatha
Crota
Fer Fatha
Crota
Fer Fatha
Comme
les druides terminaient cette conversation, les gens du train des
équipages, les valets et la racaille de l'armée entendirent ce
qu'ils se disaient l'un à l'autre. Ils traversèrent le fleuve à la
suite du druide inconnu, résolus à le mettre à mort. Lorsque le
druide s'en avisa, il se tourna vers le fleuve et frappa trois fois
le fleuve de la baguette druidique qu'il tenait à la main, si bien
que le fleuve se souleva, et se gonfla contre l'armée. Voici dans
quelle situation se trouvait celle-ci: une troupe importante venait
justement de traverser le fleuve, vers l'Ouest, à la poursuite du
druide, une autre était dans le fleuve et le soulèvement du fleuve
arrêta sa marche. L'on se porta de part et d' autre à son secours,
et le druide en profita pour s'échapper.
Les
troupes demeurèrent à l'entour du fleuve, plongées dans la
tristesse et le découragement jusqu'au lendemain à la même heure.
Les druides recoururent alors à leur science druidique pour remettre
le fleuve à la place où il était auparavant.
Ensuite
Cormac traversa le fleuve avec ses troupes, et ils poursuivirent leur
route à travers Dubh Chaill, que l'on appelle aujourd' hui Fidh
Dammaiche, jusqu'à Magh Leathaird, aujourd' hui Magh Tuaiscirt, à
Crund Magh, aujourd' hui Magh Gabra, à Mag nUachtair, aujourd' hui
Magh Raidhne; là où la route s'élargit ils pénétrèrent dans les
Bocaighe Bainfhliucha, que l'on appelle aujourd' hui Sliabh Eblinne,
et de là atteignirent Formael na bhFhian comme le soir tombait.
C'est
là que Cecht se mit à examiner l'atmosphère et le ciel, au-dessus
des armées, et il marcha vers l'Ouest, jusqu'à Dubh Gleand,
aujourd' hui Gleand Salach. Il vit venir vers lui un guerrier, de
taille imposante, à la tête grise. On l'appelait Art, le druide.
Ils se mirent à causer ensemble, et se demandèrent mutuellement les
nouvelles, si bien qu'il s'ensuivit une discussion entre eux, et
qu'ils firent ce poème.
-
Pourquoi êtes-vous venus, ô Cecht,
du nord, de la terre de Magh Slecht?
Pourquoi ce tumulte est-il venu jusqu'ici
jusqu'au pays de Formael? -
C'est une grande épidémie sur les boeufs de Tara.
Hélas, c'est une grande folie qu'elle a suscitée.
C'est pour chercher un boeuf de remplacement de chacun de ceux qui ont péri,
que nous sommes venus de Tara. -
Quoique ce ne soit pas nous qui ayons pris vos boeufs,
ô race de Conn, à la gloire splendide,
nous vous avons offert un boeuf de chaque ferme
du domaine de Fiacha Fidhlis. -
Nous aimons mieux notre tribut à perpétuité,
et le prix dû pour notre guerrier,
que cette riche contribution, si importante soit elle,
si elle ne nous est versée qu'une seule fois. -
Jamais (les gens du Nord) ne recevront un seul boeuf
des gens de Munster, en sus de ce que donne un chacun,
comme compensation ou comme tribut, sans doute.
Nous le jurons par votre main, quand bien même ce serait un blasphème. -
Si Cairpre de la plaine entendait
ta prédiction, à Artan,
ou si Cormac le vaillant champion (t'entendait),
tu perdrais ta belle tête. -
Je n'estime pas plus Cairpre et Cormac
que les deux cochers qui les servent,
tant que vivront Mogh Corb
et Fiacha Muillethan. -
Si Artchorb et ses enfants t'entendaient,
le fracas (des armes) brisées ne tarderait pas à retentir dans la vallée.
Tu n'en sortirais pas vivant,
et leur inimitié contre toi serait implacable. -
Je ne fais pas plus de cas d' Artchorb, ô guerrier,
que des femmes qui habitent dans sa maison dans le Nord,
aussi longtemps que j'aurai dans cette terre
Dond Dairine pour me protéger. -
Si Ceallach mac Cormaic t'entendait,
ainsi qu'Artur le vaillant à la grande vigueur,
c'est pour toi que la situation serait
peu sûre; ta sorcellerie ne te sauverait pas. -
Je ne fais pas plus de cas d' Artur à la taille élevée
que de son valet, propre, élégant et hardi.
Aussi longtemps que sera vivant
[obscur]
. -
Si la meute des guerriers entendait
la comparaison que tu fais d' eux aux gens de Munster,
tu recevrais un coup entre les dents,
et tu porterais une blessure cruelle. -
Si l'aimable Munster
entendait qu'une telle armée se trouve sur son territoire,
ils en resteraient les lèvres blanchies (de frayeur),
sans troupeaux, sans bétail.
Art
Cecht
Art
Cecht
Art
Cecht
Art
Cecht
Art
Cecht
Art
Cecht
Art
Cecht
-
Tais-toi, et finissons cet entretien.
C'est le métier d' un fou que de discuter;
l'armée que tu loues ne saurait
tenir tête aux trois provinces d' Irlande. -
Dans ta réponse véridique, il n'y aura pas de mensonge.
Va dire à tes armées, ô Cecht,
que chacun d' eux dira dans la suite:
‘funeste est l'expédition pour laquelle nous sommes partis.’
Art
Lorsque
l'armée et la foule qui la suivait entendirent cela, ils furent
saisis de fureur. Ils s'élancèrent hors du camp avec impétuosité
et violence, et se mirent à la poursuite du druide à travers la
vallée, vers l'ouest, se disant entre eux: "Tuons et massacrons
ce druide." Le druide tourna son visage vers eux et, invoquant
ses dieux, souffla un souffle magique dans l'air et dans le
ciel. Il s'en forma, au-dessus de l'armée, une nuée noire qui
retomba sur elle, et les plongea tous dans un état d' égarement et
de folie. Le druide en profita pour s'évader.
Voici
le parti qu'ils prirent ensuite. Dans le chagrin qu'ils éprouvaient
à voir tous les druides leur échapper, ils envoyèrent sur les
traces du druide des gens chargés de le suivre et de le chercher;
eux-mêmes suivaient par bandes et groupes séparés. Ils restèrent
sept jours et sept nuits dans ce camp-là, tandis que de grandes
bandes d' entre eux continuaient la recherche. Il leur était
impossible de rentrer chez eux, tant était puissant le sortilège
que le druide leur avait jeté; même les indices qu'ils découvraient
servaient à les égarer, car le druide leur faisait apparaître
chaque matin sa trace, à travers les ravins, les passes et
les gués, afin de les affliger et de les entraîner loin des leurs.
Cormac
fut frappé de terreur, car il pensait que quelque obstacle retenait
son armée, et qu'elle ne lui reviendrait plus jamais. Et il se prit
à accuser les druides qui étaient à son service, disant: "A
quoi servez-vous, si l'on met à mort mes gens sans que j'en sois
informé ni prévenu sans que vous veniez à leur secours?" "Ils
ne sont pas morts du tout", dirent-ils, "mais le druide les
a ensorcelés depuis une semaine, et nous les ramènerons chez eux".
Ils
se recueillirent alors et rassemblèrent leur science et tout leur
art et envoyèrent un charme vers les armées, qui revinrent vers eux
au bout de la semaine.
Lorsque
les gens de Cormac l'eurent rejoint, il poursuivit sa route et son
expédition, et parvint à Ath Cuili Fedha, aujourd' hui Ath Croi, où
l'on établit le camp.
Il
arriva que Cithach sortit du camp pour examiner l'air et le
ciel; il rencontra un homme du même âge que lui, Dubhfis mac
Dofhis. Ils se demandèrent l'un à l'autre les nouvelles. Dubhfis
prit la parole, Cithach répondit, et ils firent ensemble ce poème.
-
O Cithach, comment es-tu venu
dans la terre de ton ennemi?
Dans la terre de ton ennemi,
comment es-tu venu, où vas-tu? -
C'est de Tara que je suis venu,
à Cuil Feaga Formaeile.
Je vais en Munster (rien ne me l'interdit),
ô Dubhfhis, ô fils de Dofhis. -
Pourquoi vas-tu en Munster,
dis-le, sans attendre, si cela est convenable.
Explique-moi ton affaire, quelle route suis-tu?
Quelle armée surveilles-tu? -
C'est pour repousser les druides de cette terre,
que je viens ainsi que mes compagnons.
Cormac châtie (ce dont on se souviendra longtemps),
les puissants rois de Munster. -
Les desseins qui t'ont amené ici,
jamais tu n'en réaliseras aucun.
Un nuage de carnage (?) s'étendra au-dessus de vos têtes dans la plaine.
Faible est la crainte que vous inspirerez, ô Cithach!— O Cithach.
Dubhfis
Cithach
Dubhfis
Cithach
Dubhfis
Après
qu'ils eurent récité ce poème, il fut répété à Cormac que les
druides proféraient des prédictions sinistres le concernant: "Je
ne saurais en tirer vengeance", dit Cormac, "car tous ceux
qui ont essayé de les tuer ont échoué, et c'est eux-mêmes qui ont
pâti". Si bien que Cormac donna ordre qu'on ne fît aucune
allusion à rien lorsqu'ils reviendraient.
Le
lendemain on reprit la marche, là où le chemin va en s'élargissant
vers Mairtine de Munster, jusqu'à Drum Medhoin Mairtine que
l'on appelait aussi Arccluain na Fene et Mucfhalach Muc Daire Cerbe.
Cerbe était le roi de Medhon Mucraine, que l'on appelle Imliuch
Ibair, aujourd' hui; ils établirent le camp en ce lieu.
Cithmor
sortit du camp, marchant vers le Sud-ouest, pour regarder les nuages
et l'air afin de savoir quel serait l'ordre de marche de l'armée.
C'est alors qu'il rencontra un guerrier, aux cheveux blonds et
bouclés, et d' apparence avenante; c'était le druide de Medhon
Mairtine, qu'on appelait Medhran, le druide; ils se mirent à causer
ensemble, et Medhran fit ce poème dont Cithmor fournissait les
réponses.
-
Medhran
-
O Cithmor, réponds véridiquement.
Quel jour as-tu quitté Tara?
Quelle marche as-tu suivie depuis lors?
— Insensé quiconque ne le demanderait pas!
Cithmor
-
Nous allâmes Lundi à Comar, lieu farouche.
Mardi à Ath int Slóig (au gué de l'armée).
Mercredi, belle et splendide route,
au sommet de Formael escarpé.
-
Medhran
-
Quel fut votre étape de Jeudi?
Dis-le nous, aimable Cithmor.
Pourquoi avez-vous choisi (?) cette direction?
Comment vous êtes-vous égarés durant une semaine? -
Te souviens-tu de ce que vous fîtes Vendredi,
Cithmor, homme de Connaught.
De quel côté ira-t-on vous provoquer
dans la matinée de Samedi? -
De Cuil Fegha nous sommes allés
à Druim Medhoin Mairtine;
voilà notre marche de Vendredi, sans mensonge.
Nous irons Samedi jusqu'à Cnoc na Cenn. -
Quel chemin suivrez-vous ensuite?
Dis-le nous; si tu ne l'ignores pas.
Si tu le sais, apprends-le nous,
ô Cithmor, sans nous tromper. -
Nous resterons là, tristes et lassés,
un mois, un trimestre et une année.
Nous combattrons farouchement contre les gens du Sud;
nous les traiterons avec férocité. O Medhran. -
Tout le tort que tu feras à notre prospérité
sera récupéré sur toi en un seul jour.
Peu nombreux [seront] ses conducteurs (leurs conducteurs?) lorsqu'ils repasseront le fleuve avec lui (Cormac).
Et ton droit aura peu de force, ô Cithmor.O Cithmor.
Medhran
Cithmor
Medhran
Cithmor
Medhran
Ils
se séparèrent après avoir composé ce poème: Cithmor rentra au
camp et l'armée resté là jusqu'au lendemain matin de bonne heure.
Au lever du jour, Cormac se mit en marche avec ses troupes et ils
allèrent jusqu'à Cnoc na Cenn, où ils établirent le camp. C'est
alors que Cormac dit à Cithruadh de planter les piquets de sa tente.
Cependant Cithruadh ne se leva pas car il prévoyait que la tente
serait impossible à planter. Les soldats de la province se rendirent
alors, deux par deux ou trois par trois, sur les collines, et les
coteaux environnants, pour les voir. Et ils se disaient l'un à
l'autre: "Il y a de beaux guerriers et des guerriers capables
d' affronter des centaines d' hommes à Cnoc na Cenn, et la
clameur de nombreux guerriers y retentit avec la rumeur puissante des
armées. Cette colline s'appellera dorénavant Druim Damhgaire".
C'est
alors que Cormac dit: "Allons, Cithruadh, plante ma tente comme
tu avais coutume de planter la tente de mon père et de mon
grand-père, car je ne bougerai pas de là qu'on ne m'ait accordé ou
refusé mon tribut."
Cithruadh
se mit alors en devoir de planter la tente et d' entrer les piquets
dans la terre, et il ne put enfoncer ni dans l'herbe ni dans la terre
les piquets de la tente. Quand il fut las, il dit: "Tu vois,
quand bien même je ne t'aurais pas averti, ce poteau te prouve ce
que nous t'avons dit avant que tu quittes Tara"; et il dit la
rhétorique: "Vois ce poteau, Cormac", etc.
"Écoute
donc ce que dit le vieux druide; puisqu'il n'a pas pu planter la
tente, plante-la toi-même".
Colphta
prit en main le piquet de la tente, et se mit à réprimander et à
insulter Cithruadh, et il se mit à l'oeuvre à grand effort et son
corps en était si excessivement distendu que des hommes adultes
auraient pu passer entre ses côtes. Il appuya le poteau contre terre
mais ne parvint pas à le faire pénétrer; il déploya tant
de force pour le ficher en terre qu'il la brisa lorsque ses
efforts pour le ficher eurent échoué. "Que faut-il faire
maintenant?" dit Cormac, "Il faut", dit Cithruadh, et
tous avec lui, "il faut nous fournir un grand nombre d' hommes."
On les leur fournit, ils firent de grands chantiers comme pour les
navires, et assujettirent la tête des poteaux dans ces étais. C'est
de cette façon qu'ils établirent tout le camp. C'est de là que le
lieu est nommé Long Cliath, à cause de la façon dont on établit
le camp.
"Sans
aucun doute", dit Colphta à Cithruadh, "tu devais répugner
à cette expédition. En effet, que tel ou tel revienne ou ne
revienne ne pas vivant de cette province, toi en tout cas n'en
reviendras pas". "Sans aucun doute", dit Cithruadh,
"je sais en effet quelles seront les conséquences de cette
expédition et pour moi et pour Cormac: j'aurais empêché Cormac de
partir, si vous ne l'y aviez encouragé et si votre avis n'avait pas
prévalu. Au reste vous ne vous trouverez pas mieux que nous-mêmes
d' être venus dans cette province, car aucun de vous n'en sortira
vivant. Au reste, cette tente que ni toi ni moi n'avons été
capable de planter, elle n'aurait pas été sortie de la
maison de Tara, n'eût été de vous, mais Cormac aurait suivi les
recommandations de son père et de son grand-père et n'aurait
réclamé de tributs qu'à bon droit et en toute loyauté. Quoique la
prophétie que je lui fis à ce sujet fût véridique, Cormac ne s'en
est pas plus soucié que de celui qui la faisait".
Le
lieu où était campé Cormac lui paraissait être trop bas, et celui
où étaient campés Fiacha et les troupes de Munster lui semblait
élevé. Ses druides lui avaient promis que, quelle que fût la
situation du lieu où ils se trouveraient, ils l'élèveraient
au-dessus de tous les autres. Cormac leur demanda de le faire, et ils
firent comme ils avaient promis. Ils élevèrent en effet la colline
de cinquante coudées au-dessus de toutes les autres, du moins en
apparence, car il n'y avait là qu'une illusion.
Cithruadh
ne réussit donc pas à planter la tente; à ce sujet, Cormac lui
dit: "C'est un mauvais présage pour toi, Cithruadh. Où
donc était ta force, alors que tu n'étais pas capable de planter la
tente? La colline n'a pas laissé pénétrer les piquets, pas plus
que si on les avait plantés sur une pierre". — "Ce n'est
pas que la force me manque pour la planter", dit Cithruadh,
"mais c'est l'injustice de ta tentative qui est cause de cet
échec."
Ils
mirent trois jours et trois nuits à établir le camp. Ils envoyèrent
ensuite réclamer le tribut et l'indemnité, et on ne les leur
accorda point. Le lendemain Cormac envoya provoquer en combat
singulier les guerriers de Munster. Ceux-ci lui demandèrent un délai
de trois jours et trois nuits, pour décider qui se chargerait de
combattre, car, pour Cormac, il connaissait d' avance les cinq qui se
chargeraient de combattre. Cormac accorda ce délai. Les hommes de
Munster délibérèrent à ce sujet et décidèrent qui prendrait
part au combat. Voici les dispositions qu'ils adoptèrent en vue de
ce combat: quatre cent huit hommes, par compagnies de vingt hommes,
dont chacune portait un nom et avait un chef, et chaque compagnie
portait le nom de son chef. Le chef était de force à combattre
vingt hommes, et chaque homme de chaque compagnie pouvait en
combattre neuf.
Voici
les noms de chaque compagnie: compagnies Finn, Failbe, Fingen,
Fergus, Fiacha, Finnchad, Dond, Daire, Domnall, Forgarb, Tren,
Mureadach, Trenfer, Feilimid, Domnchad, Conall, Cobtach, Dubtach,
Dael, Dinertach, Diarmud, Ciar, Crimthan.
Mogh
Corb mac Cormaic Cais Meic Oililla Oluim se chargea
d'encourager les guerriers de Munster qui iraient au combat. Cairpre
Liffacair, fils de Cormac, se chargea d' encourager les guerriers du
parti du Nord qui iraient au combat. Mais seuls parmi ceux-ci
allèrent au combat les cinq druides que Cormac avait amenés de Sith
Cleitach: Colphta et Lurga. Erri, Eng et Engain.
Colphta
s'avança vers l'Ouest jusqu'au tertre désigné pour la rencontre
sur la rive Nord-ouest d' Ath na nOc, aujourd' hui Ath Colpa. Finn
Fidhrinde se rendit pour l'affronter au Sud-ouest d' Ath Corco
Maigen, aujourd' hui Ath Colptha. Les deux guerriers chargés de les
encourager, Mogh Corb et Cairpre, étaient avec eux. Ils
s'adressèrent la parole et engagèrent le combat; durant la
rencontre dans le gué, sûrs et droits étaient les traits qu'ils se
lançaient, fermes leurs coeurs, puissants les coups qu'ils se
portaient; les coups répondaient aux coups et la riposte à
l'attaque. Ils se meurtrirent ainsi l'un l'autre, jusqu'à ce que
vinssent les ombres de la fin du jour.
Les
oiseaux auraient pu se faufiler en volant à travers le corps de
Find. En revanche le corps de Colphta ne portait aucune trace de
coup, car ni pointe ni tranchant ne pouvait l'entamer tant était
grande sa puissance magique. Cependant les armes de Colphta lui
furent arrachées par trois fois ce jour-là, et il fut cruellement
blessé sur son corps, quoiqu'il n'en mourût point.
Lorsque
l'ombre arriva ils se séparèrent et chacun regagna son camp.
Finn
était tout déchiré et sanglant ce soir-là. Il s'engagea sur
l'honneur à reprendre le combat en personne le lendemain. Il soutint
le combat de la sorte pendant trois jours puis succomba, Colphta
ayant réuni tout son art et toute sa science diabolique, et ayant
invoqué son dieu. Ainsi succombèrent sous les coups de Colphta les
vingt guerriers de Finn. Ce n'est pas cependant que leurs coeurs ne
fussent pas fermes, que leurs coups ne fussent pas puissants ni leurs
traits sûrs et droits; mais ils ne disposaient pas de ressources
magiques égales à celles dont disposait Colphta.
Ce
combat terminé, Lurga vint au même gué et proposa le combat aux
Munstériens. Ce fut la compagnie de Failbe qui releva le défi.
Failbe mac Feduigh vint au combat. Ce fut avec sûreté, avec fermeté
et fougue qu'il soutint le combat. Ce serait perdre son temps que de
raconter les actions d' éclat qui furent accomplies durant cette
série de combats, car le même récit a déjà été fait. Le fait
est que tous les Munstériens engagés dans ce combat succombèrent
et périrent. Deux cent quatre-vingts Munstériens périrent sans que
Cormac eût engagé dans ce combat d' autres que Colphta et,
alternativement,3
Lurga. C'est à la suite de cela que les gens de Munster refusèrent
tout combat singulier.
Cormac
demanda alors aux Munstériens de lui livrer bataille par groupes de
cent. C'est alors que vinrent du Nord les trois filles de Maol
Miscadach: Errgi, Eng et Engain, sous l'apparence de trois moutons
bruns. Elles avaient des carapaces de corne, des têtes d' os, des
becs de fer qui distillaient des poisons capables de tuer cent hommes
dans le combat. Toutes les pointes et les tranchants du monde
n'auraient pu couper un poil ou un brin de leur toison.
Les
gens de Munster engagèrent le combat: ils ajustèrent des bois durs
aux javelots bien façonnés durs et pointus qu'ils portaient à la
main: ils firent avec les boucliers étoilés un rempart autour de
l'armée: ils portaient trois lourds glaives aux coups pénétrants
dans leurs fourreaux. Ils portaient des javelots aisés à lancer
pour soutenir le combat, et engager la lutte.
Lorsque
les adversaires se rencontrèrent, venant du Nord et du Sud, ils
s'attaquèrent l'un l'autre.
Les
gens de Munster perdirent ce jour-là le meilleur de leurs armes, en
protégeant et sauvegardant leur personne contre les attaques des
brebis, et quoiqu'ils les assaillissent de traits sûrs et de coups
puissants, elles ne perdirent ni poil ni brin de leur toison. Elles
ne réussirent ce jour-là qu'à mettre en pièces les armes et les
vêtements des gens de Munster. Lorsque le jour fut sur son
déclin et la nuit près de tomber, ils se séparèrent et rentrèrent
dans leurs camps respectifs.
Le
lendemain de bonne heure ils vinrent reprendre le combat dans les
mêmes conditions et se mirent d' un commun accord, à s'entr'égorger
de nouveau dans le gué. Et ce n'était pas agréable pour les quatre
provinces de l'Irlande d' entendre, jusque dans leurs camps, le
fracas des boucliers se fendant (?), les durs coups de glaives, le
bris des armes, et le massacre de héros que faisaient les brebis.
Quoique les bataillons opposassent une résistance opiniâtre,
celles-ci percèrent et bousculèrent leurs rangs, décapitèrent les
guerriers et laissèrent toute le troupe sur la place, sens dessus
dessous et côte à côte; les brebis firent un monceau de leurs
vêtements et de leurs armes, empilèrent leurs têtes en un tas, et
les laissèrent ainsi; les adversaires se séparèrent alors pour
rentrer dans leurs camps. Les guerriers de Munster emmenèrent avec
eux les dépouilles de leurs gens.
C'est
ainsi que furent défaits quatre cent huit guerriers de Munster.
Après
ces combats les gens de Munster remarquant que c'était.[obscur]
de bestiaux formidables qui les avait tous mis à mort ainsi,
décidèrent de renoncer à (ces combats) où ils engageaient un
corps d' armée, et ils n'acceptèrent plus aucun combat dès lors.
Cormac
réclama ensuite le tribut, et on ne le lui donna pas. C'est alors
qu'il dit à ses druides: "Eh bien, et la promesse que vous
m'avez faite?" — "Que t'avons-nous promis?"
dirent-ils. — "Vous m'avez promis", dit-il, "d'
altérer la population de cette province, et de cacher les fleuves et
les eaux de la province, sauf la quantité qui m'est nécessaire à
moi-même et à mon armée. Et je ne me suis fié, ni ne me fie à ma
propre force, mais bien à la promesse que vous m'avez faite d'
accabler de tous les fléaux qu'il me plairait cette province, sans
que j'aie à livrer bataille ni à combattre contre eux; il
suffirait, disiez-vous, des fléaux dont vous les accableriez,
jusqu'à ce que l'objet de mon désir me soit apporté au lieu même
où je me trouverais."
Les
druides cachèrent les eaux de toute la province, excepté la
quantité nécessaire à Cormac et à son armée, qu'ils ne cachèrent
pas. Toute la population de la province fut alors en proie à une
soif dévorante, gens, troupeaux et bétail. Cormac demanda alors le
tribut et ne l'obtint pas: voici à quoi eurent recours alors les
gens de Munster, du moment que Cormac ne commettait ni déprédations
ni [obscur]; ils se firent envoyer du lait de chez eux dans
chaque endroit où ils se trouvaient. Cormac en fut instruit et dit à
ses druides: "Comment les gens de Munster se soumettraient-ils,
bien que privés d' eau, aussi longtemps qu'ils auront du lait?"
— "Ils ne nous est pas plus difficile", dirent-ils, "de
tarir le lait des vaches que de priver les armées d' eau." Et
là-dessus ils tarirent le lait des vaches, et assoiffèrent les
chevaux, les moutons, les boeufs et tout le bétail de la province.
Et quel que fut le nombre de toutes les armées de la province, tous
les troupeaux de la province ne faisaient pas un moindre tapage, en
beuglant, hennissant et s'ébrouant (?).
Cormac
demanda ensuite le tribut, et on le lui refusa. Et voilà ce que
firent les gens de Munster: ils saignèrent leur bétail et leur
troupeaux, ils mirent le sang dans des vases, et se le firent envoyer
dans des tuyaux. Et, de plus, ils recueillaient la rosée chaque
matin, la mélangeaient avec le sang, et l'y laissaient ainsi jusqu'à
ce qu'il s'en formât une sorte d' eau sanglante, qu'ils buvaient
ensuite à travers des chalumeaux et des tuyaux. A ce régime, ils
s'affaiblirent, leur langue gonfla, ils perdirent la parole, ils
perdirent la force et l'énergie, ils perdirent entièrement toute
vigueur, si bien que c'est à peine s'ils pouvaient se comprendre les
uns les autres, quand ils parlaient.
Quand
Fiacha constata qu'ils étaient sur le point de périr de cette façon
il leur dit: "Nécessité n'a pas de loi; qu'on envoie de votre
part vers Cormac (?); tout ce qu'il réclame, et qui fait l'objet de
son expédition, des plus petites choses aux plus importantes, qu'on
le lui accorde. "
On
alla trouver Cormac de la part des Munstériens, et le messager dit:
"Cormac, tout ce que tu es venu demander, des moindres choses
aux plus importantes, te sera accordé." La colère et l'orgueil
le plus excessif s'emparèrent à ces mots de Cormac et des nobles de
Leth Cuinn, et ceux-ci dirent à Cormac: "Puisse le roi qui
recevra ce tribut n'accepter ni honneur, ni domaines (du moment qu'on
ne lui a pas apporté ce tribut à Tara), mais qu'il inflige d'
abord, à cette province des servitudes humiliantes, excessives,
indignes et éternelles, pour l'avoir contraint à quitter sa
résidence." Cars il leur semblait que ce que réclamait Cormac
lui était dû sans qu'il eût besoin de recourir aux armes et sans
qu'on lui imposât une expédition pour le réclamer.
Et
ils firent alors le choix de conditions honteuses et indignes à
imposer à la province, en sus du tribut déjà réclamé, qu'on
devait apporter à Cormac dans sa résidence. Et voici en quoi elles
consistaient: tous les trois mois chaque roi du Sud de l'Irlande
devait envoyer à chaque roi du Nord les provisions de bouche les
plus excellentes et les plus rares; et de même chaque prince du Sud
à chaque prince du Nord, chaque seigneur du Sud à chaque seigneur
du Nord; chaque habitant du Sud devait remettre son fils ou sa fille
au pouvoir d' un habitant du Nord, pour garantir l'acquittement du
tribut; que si un habitant du Sud manquait à s'acquitter, son fils
ou sa fille serait mis à mort, un nouvel otage fourni et les
provisions livrées. De plus, le neuvième de toutes les récoltes de
Munster devait être envoyé dans le Nord, sans entrer en ligne de
compte quant au tribut et aux autres obligations.
Les
messagers de Cormac vinrent proposer cela. Les gens de Munster
consentirent à ce tribut, tout écrasant qu'il fût, si grande était
la détresse dans laquelle ils se trouvaient.
Comme
les Dairine et les Derghtine se trouvaient dans ce danger, le
grand-père maternel de Fiacha Muillethan vint les trouver à
l'Assemblée générale. C'est de lui, Dil mac Dacreca, qu'est nommé
Druim Dil dans les Deisi, et c'est de lui que descendent tous les
Crecaige d' Irlande. Fiacha lui adressa la parole et lui dit: "où
est votre science magique, où est la science magique de l'Irlande du
Sud, ô vous qui ne savez nous aider ni nous secourir dans le danger
où nous sommes?" — "Nous nous n'y avons pas réussi",
dit Dil. — "Malédiction sur toi," dit Fiacha. "En
effet, quand bien même vous n'auriez réussi qu'à nous fournir de
l'eau, nous ne nous serions jamais soumis à ce tribut, tant qu'il
serait resté un homme vivant dans la province. Connais-tu,"
dit-il, "personne d' autre dans cette province qui pût nous
tirer d' affaire?" — "Je ne sais," dit-il, "à
moins que ton précepteur, Mogh Ruith, n'y parvienne. C'est avec son
aide que je t'ai élevé. D'ailleurs c'est lui qui t'a prédit, le
jour de ta naissance, que Leth Cuind t'assiègerait, comme cela se
produit aujourd' hui, et personne n'est capable de te secourir, si
lui n'y parvient, car c'est à Sidh Cairn Breacnatan, avec Ban
Buanainn, la druidesse, fille de Dergdhualach, que Mogh Ruith a
acquis la science des sept siècles. Et il n'y a point de sortilèges
qu'il ne puisse accomplir ou à l'extérieur ou à l'intérieur du
"Sidh", de ce côté-ci ou de l'autre, car nul, parmi les
habitants d' Irlande, n'est allé en chair et en os, apprendre la
magie dans les domaines des fées, excepté Mogh Ruith. Cependant il
ne fera rien que pour une récompense élevée, car il n'a été
jusqu'à présent ni [obscur] ni honoré et bienvenu, et vous
ne vous êtes point soucié de lui."
"Quel
genre de récompense penses-tu qu'il désirerait obtenir?" dit
Fiacha. "Il me semble", dit-il, "qu'il désirerait un
domaine et un terrain, car le lieu où il vit, Inis Dairbre, est bien
retiré et bien exigu à son goût". — "Sur notre
parole", dirent les gens de Munster, "même s'il demande
qu'un roi de Munster sur trois soit choisi parmi ses descendants, et
cela à perpétuité, on le lui accordera, sans lui demander d' autre
secours que de nous fournir de l'eau." Et ils dirent à Dil:
"Nous te rendons grâce; pars pour cette ambassade, et demande à
Mogh Ruith s'il peut nous porter secours, et s'il le peut, nous
serons tous soumis à tribut et à redevance envers lui et envers son
successeur après lui, son fils, son petit-fils et son
arrière-petit-fils, et accorderons tout ce qui lui plaira en sus de
cela, sans rien lui demander en échange que de nous délivrer d' un
seul des fléaux qui nous accablent."
Dil
se mit alors en route et parvint à Dairbre. Aussitôt arrivé il
salua Mogh Ruith et Mogh Ruith lui souhaita la bienvenue. "D'où
vient Dil?" dit-il. "De la montagne de Cenn Claire où la
province de Munster est réunie autour de Fiacha." "Comment
cela va-t-il là-bas?" dit Mogh Ruith. "Cela va mal pour
ton élève", dit Dil. "Comment cela?" dit Mogh Ruith.
Dil lui raconta tous les sortilèges et les fléaux dont les druides
de Cormac avaient accablé les gens de Munster, et comment, les
dominant du haut d' une colline druidique où il était campé, il
leur réclamait un tribut nouveau. "Quel est le but de ta
démarche à ce sujet?" dit Mogh Ruith. "C'est bien
simple", dit Dil, "les gens de Munster m'ont envoyé pour
m'entretenir avec toi, et te demander si tu pourrais leur porter
secours; au cas où tu pourrais retourner leurs sortilèges contre
leurs adversaires, on t'accorderait toute concession de terre et tout
domaine qui te plairait. Bien plus, si cela peut t'être agréable
qu'un roi de Munster sur trois soit choisi parmi tes descendants à
perpétuité, on te l'accordera."
"Ce
n'est pas que je n'aie aucun droit à exercer la royauté. Cependant
ce n'est pas là ce que je leur demanderai si je leur porte secours;
je ne pense pas qu'ils soient affligés d' aucun fléau dont je ne
puisse les délivrer, car mon maître Simon mac Guill mac Iargaill,
ainsi que Pierre, m'ont promis que je n'échouerais jamais dans mon
art, tant que je vivrais."
"Dis
moi," dit Dil, "quel salaire et quel présent veux-tu, si
tu te charges de leur porter secours?"
"C'est
bien simple;" dit Mogh Ruith:"cent vaches du cheptel à la
robe éclatante et blanche, donnant du lait; cent porcs bien
engraissés; cent boeufs fort travailleurs; cent chevaux de course;
cinquante manteaux beaux, blancs et moelleux; par dessus le marché,
la fille du premier seigneur de l'Est, ou celle du premier après
lui, pour me donner des enfants, car je suis moi-même bien né par
mes pères, et veux que mes descendants soient bien nés aussi par
leur mère, si bien que c'est par comparaison avec ma race qu'on
jugera de la noblesse des jeunes chefs de noble race;4
la première place dans les défilés des troupes [le commandement de
la cavalerie?] du roi de Munster, de façon que mon successeur ait à
perpétuité le rang de roi de province, et qu'on n'enfreigne jamais
cette condition, mais que l'on accomplisse à mon égard tout ce
qu'on m'a promis; que le roi de Munster choisisse son conseiller et
confident dans ma descendance; si l'on suit ses conseils, ils
assureront la victoire; s'il répète à qui que ce soit le secret
que lui aura confié le roi, sans l'aveu de celui-ci, qu'il soit
destitué ou mis à mort: que l'on donne à mes descendants l'accès
aux assemblées (?), que les trois hommes qui siègent en face du roi
soient choisis parmi eux, ainsi que celui qui se tient à sa droite.
Que l'on me donne, d' une terre de mon choix en Munster, la
superficie dont mes serviteurs pourront faire le tour en un jour,
sans que les rois de Munster puissent jamais avoir des représentants,
prélever des otages ou exercer une suzeraineté sur cette terre, et
sans qu'on puisse demander à mon successeur d' autre garant que son
fouet laissé à sa suite, ou de fermer sur sa cheville la main du
roi de Munster. Je ne sache pas que ma race ait jamais fait preuve de
faiblesse ou de lâcheté, mais je leur recommande de faire alliance
avec le roi de Munster et de combattre pour lui, afin de l'obliger et
de reconnaître sa fidélité à s'acquitter envers eux du salaire à
moi promis). Si l'on m'accorde tout cela, que Mogh Corb mac Cormaic
Cais meic Oililla Oluim, ainsi que Donn Dairine et les autres nobles
de Munster viennent me trouver au nom de la province de Munster et
qu'ils garantissent l'accomplissement de ces clauses. Je partirai en
personne avec eux, et, sur ma parole, je les délivrerai de ce
fléau."
Là-dessus,
Dil alla vers l'Est, jusqu'à Claire, où les armées de Munster
étaient réunies autour de Fiacha. Les Munstériens lui demandèrent
quelles étaient les intentions du druide, quoiqu'ils n'eussent plus
qu'un souffle de voix. Dil leur fit connaître les intentions du
druide, le salaire qu'il réclamait, les garants qu'il avait
désignés. Les gens de Munster accordèrent tout: les garants se
levèrent et s'engagèrent pour les gens de Munster réunis autour de
leur roi à assurer l'accomplissement du contrat qu'ils allaient
conclure en leur nom; ils se mirent en marche pour aller trouver le
roi-druide.
Lorsqu'ils
arrivèrent à Dairbre on leur souhaita la bienvenue et l'on était
prêt à les servir et à les traiter, car Mogh Ruith n'avait aucun
doute qu'ils ne vinssent. Mogh Ruith se mit en devoir de les retenir
et eux de décliner son invitation, disant: "O protecteur,
défenseur contre le mal, les gens de Munster sont en grand
danger et ils ont besoin de secours; nous venons t'offrir tout ce que
tu demandes et exécuter nos promesses; il ne te reste plus qu'à
conclure le contrat avec nous." "Je le conclurai,"
dit-il, "mais nous ne partirons pas avant demain matin à la
première heure." Ils restèrent là, bien servis et bien
traités, et Mogh Ruith se mit à festoyer avec eux et à leur
demander des nouvelles, et il dit cette rhétorique dont Mac Corb lui
fournissait les réponses:
Mogh
Ruith s'informa ensuite des combats livrés et des pertes éprouvées
dans ces combats, et Mac Corb lui raconta tout: "Nous en sommes
désolés," dit Mogh Ruith, "et, sur notre honneur, si nous
le pouvons, deux hommes périront pour chacun d' eux ... et d' autres
avec eux, et les cinq périront, qui ont attirés cette calamité sur
la province."
Ils
demeurèrent là jusqu'au lendemain à la première heure; c'est
alors que Mogh Ruith dit à son élève, Cennmar, de lui amener son
équipage de voyage: ses deux boeufs nobles, rapides comme le glaive,
venus de Sliab Mis et qu'on appelait Luath Tren et Loth Lis, son beau
chariot guerrier de sorbier aux brancards de bronze blanc
[findruine], tout incrusté d' escarboucles, aux portières de
cristal, tel que la nuit paraissait aussi brillante que le jour aux
gens qui s'asseyaient dans le char. Il y avait aussi son sabre à
poignée d' ivoire, dur et bleu, ses lances de bronze, ses deux
javelots aigus à cinq pointes, aux bois élégants et aisés
à lancer, portant rivets de bronze blanc bien ajustés; une
peau de taureau brun sans cornes s'étendait sur toute la longueur du
chariot, sur les bancs, et sur les cuisses. Autour de lui se tenait
l'escorte qui l'accompagnait dans ses expéditions, au nombre de cent
trente, comme le dit Cormac mac Cuilleannain:
"Une
forte escorte entourait le chariot du roi-druide lorsqu'il se mettait
en route: cent trente hommes."
Ils
se levèrent ensuite et partirent, et Mogh Ruith expliquait à son
élève toute chose, comme suit, en disant: "Marche, Cennmar le
victorieux, etc."
Ils
se mirent alors en marche et Mogh Ruith monta dans son char. Et les
seigneurs (de Munster) lui dirent:"Qui te choisira ton domaine
et ta terre?" — "Je ne m'en remettrai pour cela à
personne d' autre qu'à moi-même,' dit Mogh Ruith. "Qu'on me
donne de la terre de chaque pays où je passerai, et je découvrirai,
rien qu'à l'odeur, quel est le meilleur domaine, et je le choisirai;
si bien que, que la terre soit bonne ou mauvaise, je ne pourrai m'en
prendre qu'à moi-même."
Ils
allèrent jusqu'à Glenn Bethbhe dans la région de Corco Duibhne et
on lui apporta de la terre de Bethbhe, et il en huma l'odeur; il dit
cette rhétorique, en la refusant: "O Bethbhe, etc."
"Ce
n'est pas ce domaine que je prendrai pour mon salaire," dit-il.
"Nous ne chercherons pas non plus à te l'imposer,"
dirent-ils.
Ils
allèrent ensuite jusqu'à Crich Eogunachta dans le Corco Duibhne en
Kerry. On lui donna un peu de cette terre, et il ne la prit pas et
dit cette rhétorique en la refusant: "[obscur]".
"Je
ne prendrai pas cette terre," dit-il. "Elle ne viendra donc
pas en ta possession," dirent-ils.
Ils
poursuivirent alors jusqu'à Aes Cuile et Ealla, et l'on donna de la
terre de ces deux contrées à Mogh Ruith, et il prononça cette
rhétorique en les refusant: "[obscur]".
Ils
allèrent à Crich Cairiche, aujourd' hui appelé Muscraidhi Fheaga;
on lui donna de la terre de cette contrée, et il dit cette
rhétorique en la refusant: "Terre douce et dure, etc."
"Je
ne la prendrai pas," dit-il, "et je ne dépouillerai pas
mes frères, car ils trouveront quelqu'un d' autre pour les
dépouiller." Ils poursuivirent jusqu'à Tech Forannain Finn,
aujourd' hui Cenn Abhrat. "Je ne quitterai pas ce lieu,"
dit Mogh Ruith, "avant d' avoir choisi mon domaine et ma terre,
car ce n'est pas une fois de retour près des armées que je pourrai
leur demander terre ou domaine."
On
lui apporta alors de la terre de Cliu Mail meic Ugaine, dans Min
Mairtine en Munster. C'est alors qu'il dit en la décrivant et en la
refusant:
"Cliu
guerrier etc."
C'est
là que naitra la maladie qui dévorera le Munster", dit-il,
"c'est le chemin de la dissension et du pillage. Je ne prendrai
sous aucun prétexte ce domaine. Au reste cette terre sera un jour un
désert, quoi que ce n'en soit pas un aujourd' hui."
De
là ils s'en allèrent vers la terre dite Corchaille Meic Con, ou
Caille Menne meic Erca meic Degadh (Caile de Menne) que l'on appelle
aujourd' hui Fir Maighe. On l'appelle Caille mac nEirc, parce que les
fils d' Erc y habitaient: Menne mac Erca, Uatha mac Erca et Ailbhe
mac Erca. Son autre nom, Fir Maighi mene, s'explique par la quantité
de minerai qu'on trouve dans les montagnes environnantes, car l'on
trouve des morceaux de minerai dans chaque champ encore de nos
jours. un autre nom est Corchaille Meic Con, car il appartenait en
propre au clan des Darine et c'est là que se trouve Rosach na Righ,
où résida Mac Con jusqu'à la bataille de Cenn Abhratt.
On
lui apporta alors de la terre de ce domaine et il dit ces mots en la
prenant:
"La
montagne autour du bois, le bois autour de la plaine, etc."
Il
prit donc cette terre-là, et il conseilla à ses enfants, en leur
faisant ses recommandations (?) d' être aussi venimeux
intérieurement, et aussi affectionnés l'un à l'autre, et aussi
rusés que des serpents; car les moeurs des serpents sont telles que
si neuf serpents couvent dans un même nid, ils sont si affectionnés
les uns aux autres que chacun d' entre eux n'est pas plus affectionné
à sa propre portée que ne l'est n'importe lequel de ceux qui sont
dans le nid avec lui. "C'est ainsi que je veux que soient mes
descendants, agissant de concert. Aussi longtemps qu'ils seront ainsi
le pays environnant ne pourra résister à leur nombre et nul ne leur
tiendra tête, s'il n'est capable de résister au grand roi de la
province, car je ne garantis leur prospérité que moyennant qu'ils
observent trois conditions: vivre en bonne intelligence réciproque,
s'en tenir au terme de mon contrat, et s'entendre bien avec la race
de Fiacha."
"Si
tous ne remplissent pas ces obligations mutuelles, c'est alors que
les gens à qui je viens en aide aujourd' hui marcheront sur le
ventre de mes descendants; ils leur prendront leur domaine si
bien qu'ils disparaîtront entièrement, anéantis par le désastre
qui s'abattra sur eux; et un jour on dira devant les montagnes qui
les environnent: "n'est-ce pas ici qu'habitaient les Fir Maighe
imposants?" — Et voici pourquoi on les appellera ainsi: parce
que je leur recommande surtout d' être généreux, et pleins de
dignité et de combattre pour le Munster, à perpétuité.
"Est-ce
là le domaine que tu choisis?" dirent-ils. "oui,"
dit-il. "Qui ira tailler et délimiter ce domaine pour toi?,"
dirent-ils. "L'élève d' un chacun lui tient lieu de fils,"
dit Mogh Ruith, "ce sont mes élèves qui iront." Et ces
élèves étaient: Muchet, d' où est nommé Corco Muichit dans le
pays des Ui Connel; Bent, de qui descendent tous les Benntraidhi d'
Irlande; Buirech, de qui descendent les Ui Buirich, dans la région
de Fossach mor, dans la région limitrophe des Ui meic Caille et des
Ui Tassaigh; Dil Mor mac Da Creca, de qui est nommé Druim nDil, et
tous les Crecaidhe d' Irlande. Enfin Ceannmar, originaire de Caire
Comain dans Cloenloch en Deisi.
Les
jeunes gens se levèrent alors et dirent: "Comment
délimiterons-nous la terre, très cher père?" "A l'aide
du marteau sur l'enclume," dit Mogh Ruith, "c'est-à-dire
depuis le lieu où se trouve Fidh in Uird (le bois du marteau) en
Orbraidhe jusqu'à Indeoin (l'enclume) en Deisi: la portion depuis
les flots(?) de Tuadcaille (aujourd' hui Glenn mBrighdi ) jusqu'à la
route où coulent les flots de l'Oithen, sous la forêt de Giusach,
verte et branchue vers Colaem.
Ils
s'en allèrent devant eux vers le Sud-Ouest, Muchet à leur tête, et
celui-ci prit une fausse route dès le commencement, car il avait
appris par révélation que sa résidence serait par la suite dans
l'Ouest. Ils allèrent à Bunraide dans le Sud, à Cleitech à Dun
dailche Finnlethet, et de là gagnèrent directement le lieu dit
Slicht in Leith à l'Est, vers Glenn Brigdi et Carn Tigernaigh
meic Deghaid. Buirech prit ensuite la direction, et il prit un faux
chemin dès le début, car il prévoyait que ce serait dans le Sud
qu'il établirait sa maison. Et ils poursuivirent leur route jusqu'à
Gluair Fer Muighi Fene, et remontèrent jusqu'à Cligh na
Cruithnechta, à Leac Failmir, Glenn Cusaigi Croilinnche, Berna nGall
(à l'est de Tailech Aedha), Bern Doire Cailli Monad, aujourd' hui
Bern Leachta ua Setna, Carn Aedha meic Lidhne, Leac Uidhir, Carn
Maelglasain, Ath Cull Buinden, Ath da Abhunn.
De
là ils revinrent à Tech Forannain Finn, où se trouvaient les
armées et Mogh Ruith à leur tête. "Avez-vous terminé votre
tâche?" dit Mogh Ruith. "Nous avons terminé,"
dirent-ils. "Il me semble," dit-il, que vous avez omis de
faire le tour d' une partie du domaine que je vous avais désigné,
si j'en juge par la rapidité avec laquelle vous êtes revenus."
"Nous n'avons rien omis," dirent-ils. "Montrez-moi vos
semelles," dit-il. "Soit," dirent-ils. Ils montrèrent
leurs semelles à Mogh Ruith et c'est alors que Mogh Ruith dit:
"[obscur]".
"Qu'est-ce
donc qui m'a fait tort, Muchet?" dit Mogh Ruith. "Il m'a
été révélé," dit Muchet, "que mon domaine et mes
terres seraient situés devant moi, vers l'Ouest, et il ne me
plaisait pas de négliger mes propres intérêts." "C'est
vrai," dit Mogh Ruith, "ton domaine sera là, et ce n'est
pas toi qui en profiteras." Et il dit:
"La
terre de Muchet mac Muichit, que ce ne soit pas lui qui en profite.
Il y a peu de terre, et beaucoup de bois."
"Qu'est-ce
donc qui m'a fait tort, Bent?" dit-il. "Je suis vieux et
fatigué. Je n'ai pas voulu tenir tête à tous. Puisses-tu prospérer
jusqu'à ta postérité la plus reculée (?)."
Qu'est-ce
qui m'a fait tort, Buirech?"
"Il
m'a été révélé que c'est dans la région que je [obscur]
pour toi que serait ma descendance et ma race." "Il en sera
ainsi (?), ô Buirech [obscur] et puisse ta race ne dépasser
jamais (en nombre) un feu et demi (?)."
"Qu'est-ce
qui m'a fait tort, Cennmar?" "Il m'a été révélé,"
dit-il, "que c'est en face de moi en allant vers l'Ouest que
seraient situés mon domaine et ma terre et il ne m'a pas plu de
rogner sur eux."
"Que
le domaine et la terre de ta race soit exigus, à jamais, que ton vol
et ta rapine soient à jamais minuscules."
"Qu'est-ce
qui m'a fait tort, Dil?" dit-il. "A peu près la même
chose," dit Dil. "Que ta terre ne vous soit d' aucun
profit," dit-il, "mais que cependant ton nom soit donné à
un district, et que ta race (celle des Creacraidhi) soit répandue
par toute l'Irlande, dans la suite. [obscur][obscur]
leur habitation, que toute autre province en Irlande. Les biens de
cette grande province, j'ai dit qu'ils seront [obscur][obscur]
ils seront campés trois jours et trois nuits en deisi
[obscur][obscur] Et c'est avec ce terrain-là
que l'on comparera tout bon terrain en Irlande."
C'est
alors qu'ils s'engagèrent par des contrats réguliers.
Ils
se dirigèrent vers la montagne de Cenn Claire où se trouvaient
Fiacha et les gens de Munster. Les gens de Munster se levèrent
autour de Fiacha, pour souhaiter la bienvenue à Mogh Ruith, et tous
lui accordèrent la suprématie et le le salaire qu'il réclamait, et
ils lui assurèrent que leurs fils et leurs petits-fils
respecteraient cette suprématie et les avantages accordés à lui
vis-à-vis de sa descendance. "Qui as-tu choisi pour fiancée?"
dirent-ils. "Eimhne, fille d' Aengus Tirech, élève de Mogh
Corb." C'est d' elle que tire son nom Cul Emhne, de nos jours.
"Si elle préfère mon fils Buan qu'elle dorme avec lui."
Ceci fut remis au choix de la jeune fille. Voici le choix qu'elle
fit: "celui qui est le plus avisé et qui assurera la protection
d' un chacun, c'est avec lui que je dormirai."
Ils
signèrent alors les contrats et on régla tous les arrangements en
même temps.
Ceci
fait, les gens de Munster se rendirent au lieu où se trouvait Mogh
Ruith et les seigneurs déjà nommés. "Si vous jugez qu'il est
temps que je vous porte secours, "dit-il, "dites moi de
quelle façon je puis vous secourir dans la détresse où vous êtes
plongés." "Fournis-nous de l'eau," dirent-ils. "Où
est Cennmar?" dit Mogh Ruith . "Ici ", dit Cennmar.
"Donne-moi mes lances magiques." On les lui donna. Elles
obscurcirent l'air et le ciel, et l'on vit qu'un torrent jaillissait
de son (leur?) pied5
"Où
est Cennmar?" "Ici," dit Cennmar. "Creuse la
place qu'a frappée la pointe de la lance." "Quelle sera ma
récompense?"dit Cennmar, "Le fleuve qui jaillira portera
ton nom," dit Mogh Ruith. Cennmar se mit à gratter la terre et
à chercher l'eau, et Mogh Ruith dit cette rhétorique en cherchant
l'eau: "Salut, flot délicieux .... "
Lorsqu'il
eut terminé cela, l'eau jaillit brisant l'écorce de la terre, et
elle faisait un grand fracas et tous eurent grand' peine à se
protéger de l'eau, et Cennmar dit en écoutant venir l'eau, avant
qu'un chacun n'entendit son fracas: "Coupe pleine ...."
Lorsque
les nobles eurent fini de boire ce que leur donnait le druide, Mogh
Ruith dit: "Buvez cela, "dit-il "pour que votre force
et votre énergie, et votre aptitude aux armes vous reviennent, avec
votre vigueur et votre dignité."
Ils
se pressèrent vers l'eau, en troupes et en groupes, et tous y
étanchèrent leur soif, gens, chevaux et bétail, si bien que l'eau
suffit à tous. Ensuite les eaux se répandirent et se distribuèrent
de toutes parts, vers leurs gens, et de là, elles se répandirent
dans les vallées, les cours d' eau et les sources de la province, et
les délivrèrent de l'engourdissement magique qui pesait sur eux, et
les eaux se manifestèrent de cette façon à tous; les troupeaux et
le bétail de la province furent amenés vers les eaux, et burent
leur content.
Les
gens de Munster poussèrent alors une clameur de joie, qui fut
entendue jusqu'au camp de Cormac. Et les hommes de Munster envoyèrent
vers Cormac, pour lui apprendre ce qui s'était passé, refuser de
payer le tribut, et dénoncer la trêve.
Le
parti du Nord, groupé autour de Cormac, fut saisi d' horreur et d'
épouvante: ils tremblèrent à l'idée que leurs druides leur
avaient dit la vérité, lorsqu'ils s'étaient opposés à cette
expédition.
"Nous
te rendons grâce (?) Mogh Ruith," dirent les Munstériens, "la
récompense qui t'a été promise t'est désormais acquise, quand
bien même tu ne nous fournirais pas d' autres secours que de nous
avoir rendu l'eau." — "Ce n'est pas que je veuille vous
marchander mon secours, mais je crains fort qu'on ne s'acquitte pas
envers mes enfants et envers ma descendance de ce que vous m'avez
accordé par contrat." Tous alors donnèrent leur bénédiction
à tous ceux qui exécuteraient les conditions: Mogh Corb, Donn
Dairine et les garants firent de même.
Le
lendemain Mogh Ruith demanda: "Quelle aide préférez-vous
maintenant?" "Abaisse la colline", dirent-ils, "car
c'est une grand affliction et une grande calamité pour nous, que nos
ennemis soient ainsi installés au-dessus de nos têtes sur une
colline magique lorsque nous sommes nous-mêmes au pied si bien que
nous ne pouvons les voir qu'en levant les yeux." "Qu'on
tourne mon visage vers la colline ", dit Mogh Ruith. C'est ce
qu'on fit sans balancer. Aussitôt, il invoqua son dieu et sa
puissance et grandit si bien qu'il n'était pas moins grand que la
colline, et sa tête crût jusqu'à être aussi grosse qu'une haute
colline couronnée de grands bois de chênes, si bien que même sa
suite fut saisie de terreur à sa vue.
C'est
alors que vint le trouver son camarade, Gadhra, de Druim meic
Criadhnaidhi; c'était le fils de la soeur de Ban Buanana, la
druidesse, fille de Derg Dualach. Il venait à l'aide et au secours
de Mogh Ruith. Belle était son apparence, ce jour-là, du côté
tourné vers Mogh Ruith et vers les Gens de Munster, odieuse et
monstrueuse était son apparence et sa mine du côté tourné vers
Cormac et vers ses armées: sa tête était rude, piquante comme
un pin (?), et aussi grosse qu'un château royal. Chacun de ses
deux yeux était aussi gros que le chaudron d' un roi, et ils
saillaient au dehors de sa tête; ses genoux étaient par derrière,
et ses talons par devant. Il tenait à la main un grand trident de
fer; il était enveloppé d' un manteau d' un brun gris, corné, tout
hérissé d' os et de cornes; un bouc et un bélier le suivaient. Ils
étaient frappés de terreur, tout ceux qui le voyaient en cet
équipage.
"Pourquoi
es-tu venu?" lui demanda Mogh Ruith. "Je suis venu,"
dit-il, "pour faire trembler et pour épouvanter les armées,
afin qu'il ne reste plus que la force d' une femme en couche en
chacun de leurs guerriers au moment du combat. "Et il s'en alla
en cet équipage jusqu'à Druim Damhgaire; il fit trois fois le tour
de la colline, et poussa trois cris assourdissants et se montra aux
ennemis de cette façon, si bien qu'ils furent saisis d' horreur et
de terreur; il priva ainsi tous les guerriers de la moitié de leur
courage et de leur valeur guerrière.
Il
les laissa en cet état et s'en fut rejoindre Mogh Ruith; Mogh Ruith
lui demanda s'il avait exécuté le dessein en vue duquel il était
venu; il lui demanda aussi comment les armées succomberaient, homme
par homme ou par groupes, par vingtaines ou par centaines: Mogh Ruith
commença donc le poème (suivant) et Gadhra lui répondit.
-
Pourquoi es-tu venu, ô Gadhra?
Est-ce pour apporter la désolation, pouvoir certain (?) -
C'est pour répandre l'horreur et l'épouvante
parmi les armées ennemies. -
Dis-moi quels exploits tu as accomplis,
est-ce que l'action de Cormac était
[obscur]
...? -
Ils crieront, ils imploreront miséricorde
[obscur]
..(?).
L'armée de Cormac sera en désarroi. -
Est-ce isolément ou deux par deux,
ou par masses qu'on peut les compter? -
C'est un par un et deux par deux
qu'ils périront, ces magiciens. -
Est-ce par vingtaines ou par centaines
ou par masses, à ce que tu penses? -
C'est par vingtaines de centaines et en masses
qu'ils périront, les descendants de Conn, chef de héros. -
Pourquoi n'ont-elles pas péri par toi,
les tribus et les armées qu'il a réunies? -
Rien n'est perdu de toute façon,
leur avantage s'en ira en fumée même ainsi.Même ainsi.
Mogh Ruith
Gadhra
Mogh Ruith
Gadhra
Mogh Ruith
Gadhra
Mogh Ruith
Gadhra
Mogh Ruith
Gadhra
Ils
étaient tous les deux en train de se préparer au combat: Gadhra
avait repris son apparence normale, Mogh Ruith se mit alors à
souffler sur la colline; aucun guerrier du parti du Nord ne pouvait
se tenir dans sa tente, tant était grande la tempête, Et les
druides ignoraient l'origine de cette tempête. Mogh Ruith, en
soufflant ainsi sur la colline prononça ces paroles: "Je
tourne, je retourne, etc ... ".
La
colline disparut alors, enveloppée dans des nuées sombres et dans
un tourbillon de brouillard, si bien que le commun de l'armée fut
saisi d' épouvante, au cri des bataillons, au tumulte des chevaux et
des chars, au fracas des armes brisées retentissant lorsque la
colline fut tranchée de ses fondements. Une partie de l'armée en
resta plongée dans les affres de l'agonie, tous s'abandonnèrent à
l'abattement et au découragement.
Cela
remplit les Munstériens de joie: ils poussèrent une clameur en
célébration, et s'en enorgueillirent fort. En un mot,
l'enthousiasme et la joie qui régnaient parmi l'armée du Nord
auparavant passèrent à l'armée du Sud, et, inversement,
l'affliction et le désespoir où était plongée auparavant l'armée
du Sud, furent le lot de l'armée du Nord, Ils restèrent dam cet
état jusqu'au matin.
Le
parti du Nord remarqua alors comment leurs sortilèges avaient été
retournés contre eux, Cormac se prit à faire des reproches aux
druides qui étaient à son service. C'est alors que Colptha, tout
honteux de la semonce que lui avait infligée Cormac, se leva; il
prit au bras gauche son bouclier noir et sinistre, qui ne mesurait
pas moins de cent vingt pieds, et était entouré d' un cercle de
fer; il prit son sabre lourd et perçant, où s'étaient fondues
trente masses de métal flamboyant, il prit ses deux lances noires
fumeuses (?) et sombres, dans sa main. Et lui même revêtit une
apparence horrible, immense, grotesque, d' une stature de cinquante
pieds, sans faire entrer dans le calcul ses vêtements (?) [obscur].
Cairpre Liffacair vint avec lui pour l'exhorter et ils sortirent du
camp, marchant vers le Sud-Ouest pour livrer bataille.
Lorsque
les Munstériens virent cela, ils dirent à Mogh Ruith: "O notre
ami et notre allié, voici venir Colptha pour livrer bataille, sous
l'apparence la plus sinistre sous laquelle il soit jamais venu."
"Qui vient avec lui?"dit Mogh Ruith. "Cairpre
Liffacair, "dirent-ils. "Où est Cennmar, maintenant?"
dit Mogh Ruith, "Ici ", dit Cennmar. "Lève-toi ",
dit-il, "et prépare-toi (?) à tenir tête à ce manant."
— "Très cher père ", dit Cennmar, "j'ai visité
l'Orient et j'ai demeuré ici avec toi, et tu ne m'as jamais invité
à combattre. Et, quoi que j'aie pu accomplir, je n'ai jamais
combattu en combat singulier; quoi que je sois capable d'
entreprendre, je m'effacerai devant n'importe qui en matière de
combat et de faits d' armes." "Mets-toi en route,
cependant, "dit Mogh Ruith, "et j'irai moi-même avec toi."
Mogh
Ruith se rendit à Raithin in Imairic (au tertre de la rencontre) sur
le gué, au Sud-Ouest: Cennmar le suivait , Mogh Ruith vint équipé
comme si c'était lui-même qui devait livrer bataille, et aussi bien
qu'il l'avait jamais été: il portait un bouclier bien construit,
étoilé, entouré d' un cercle d' argent, un sabre guerrier se
dressait (?) à son côté gauche et il tenait en outre deux lances
brillantes, empoisonnées, dans ses mains. Il s'avança ainsi
avec ses armes offensives et défensives jusqu'au tertre au sud-ouest
du gué; à l'instant même où Cairpre Liffacair apparaissait,
venant du Nord, accompagnant Colptha, Mogh Corb apparut avec
Cennmar. Car c'étaient eux les témoins de la bataille que les deux
guerriers se livrèrent, du commencement à la fin; c'est eux qui
constatèrent avec certitude et évidence les coups cruels que
s'infligèrent mutuellement les combattants.
Mogh
Ruith dit à Cennmar: "Donne-moi ma pierre empoisonnée, et ma
pierre plate de main, et mon "combat de cent," et ma
"destruction de mes ennemis"; on la lui donna, et il se mit
à la louer, et à y mettre un charme empoisonné et il dit la
rhétorique: "Je prie ma pierre de main, etc."
Lorsqu'il
eut fini, il la mit dans la main de Cennmar, et lui dit: "Lorsque
Colptha entrera dans le gué et s'avancera vers toi, jette cette
pierre dans le gué, et sur ma parole," dit-il, "je n'ai
aucun doute qu'elle ne détourne de toi les coups de Colptha."
Colptha
se rendit alors au tertre de la rencontre sur le gué, et tout le
temps que Colptha mit à venir du camp jusque là, Mogh Ruith envoya
contre lui vers le Nord un souffle druidique; cela transforma les
pierres et le sable du sol en brandons ardents, furieux, durs et
coupants, sur tout le trajet depuis le camp jusqu'au gué, si bien
qu'il était très pénible à Colptha de poser son pied à terre,
tant les mottes le blessaient et le brûlaient. Les laiches de la
plaine se transformèrent en chiennes aboyantes et devinrent
coupantes, et les herbes du marais se mirent à le repousser et à
[obscur] contre lui; les tertres et les fourmis de la
plaine se transformèrent en sangliers batailleurs qui criaient tous
ensemble et faisaient un grand fracas à son approche. Et les
buissons d' aubépines de la plaine se transformèrent en boeufs
sauvages, immenses, hardis, aux larges croupes, qui hurlaient et
mugissaient à son approche. Si bien que Colptha fut saisi d'
horreur et d' épouvante.
Quant
à Mogh Ruith, il s'avança donc sous une apparence pareillement
imposante et immense. Colptha jeta les yeux sur lui à travers le
gué, vers la rive Sud: il devina que c'était lui qui avait suscité
les phénomènes extraordinaires qu'on voyait dans la plaine. Il
s'étonna de voir Mogh Ruith en armes, quoique aveugle; il récita la
rhétorique: "[obscur]". Mogh Ruith répondit de
façon tranchante et sévère et il récita la rhétorique:
"[obscur]"
Après
cet entretien les druides en vinrent à l'action. Cennmar s'avança
vers le gué et Colptha ne le vit point avant qu'il ne fût installé
au bord du gué; Cennmar plaça la pierre devant lui dans le gué, et
la transforma en une énorme anguille de mer, comme nous l'ayons déjà
dit. Cennmar lui-même se posta sur le gué, sous l'apparence d' une
pierre. II y avait d' ailleurs une grande pierre dans le gué; elle
prit l'apparence de Cennmar.
Ensuite
une tempête s'éleva sur le gué, telles les vagues puissantes un
jour de grand vent au printemps, lors d' une tempête en haute mer.
Aucun des deux partis n'avait de doute quant à son origine, car les
descendants de Conn, qui environnaient Cormac, attribuaient
l'amoncellement de ces vagues à l'art magique et diabolique de Mogh
Ruith, tandis que Fiacha et les gens de Munster voyaient un effet de
l'art magique et diabolique de Colptha dans cette tempête furieuse
qu'ils voyaient s'élever au beau milieu de la plaine. Les quatre
provinces d' Irlande fureur plongées dans l'épouvante à cette vue.
L'histoire
ne rapporte aucune rencontre ni aucun combat livré par Cennmar et
Colptha ce jour-là. Ce n'est pourtant pas Colptha qui se déroba,
car, lorsqu'il vit le faux Cennmar dans le gué, il bondit sur lui et
il lui asséna trois coups avec le grand sabre meurtrier qu'il tenait
dans sa main, si bien qu'un homme adulte aurait trouvé place dans la
trace sanglante que laissa chaque coup dans la pierre.
L'anguille
bondit alors sur lui et le saisit par la face et ils tombèrent en
travers du gué, si bien qu'ils roulèrent par trois fois alentour,
Colptha et l'anguille se trouvant successivement par-dessus. C'est
alors que Colptha fut séparé de ses armes qui se brisèrent en
mille morceaux entre ses mains. — L'anguille prit alors l'avantage
sur Colptha; elle s'accrocha à sa peau, l'entoura de façon à le
paralyser, et fit neuf noeuds autour de son corps, en emprisonnant
ses mains; et un pied de Colptha fut pris par-dessous, et l'autre
par-dessus. Lorsqu'il essayait de faire un pas, l'anguille donnait un
coup de queue sur le pied qu'il soulevait, et le renvoyait contre
terre; lorsqu'il levait la tête, l'anguille prenait entre ses
mâchoires le sommet de sa tête (litt. la partie de la tête qui
était la plus éloignée d' elle), et l'envoyait frapper contre le
courant.
Quand
Mogh Corb vit que l'anguille avait le dessus sur Colptha, il dit à
Cennmar: "Malchance sur toi," dit-il, "cela te
fait grand tort de ne rien faire pour t'assurer le bénéfice moral
de cette mort et la réputation d' avoir tué ce manant. "Cennmar
saisit alors la lance druidique de Mogh Ruith, et il la darda sur
Colptha, par-dessus sa tête, avec force et énergie, et Mogh Corb
l'engagea à être sur ses gardes. Ensuite Cennmar sauta sur Colptha,
avec le grand sabre meurtrier de Mogh Ruith, et en porta (à Colptha
) un coup qui lui trancha la tête. Il laissa la tête là et regagna
la rive; il fut alors saisi par une crise foudroyante de fou rire
ainsi que par sa transe mortelle et douloureuse (?).
Mogh
Corb sauta dans le gué, saisit la tête et s'en alla avec.
Cairpre
Liffacair s'en retourna à son camp. Les gens de Munster poussèrent
une clameur de réjouissance, en l'honneur de ce combat, et les
bouffons poussèrent des gémissements par dérision, et les
Munstériens de se réjouir en célébrant la mort de Colptha.
"Est-ce
vous qui chantez victoire?" dit Mogh Ruith . "C'est nous,
car voici Mogh Corb portant la tête." "Où est Cennmar?"
dit Mogh Ruith "Il a été saisi de sa crise de [obscur],"
dirent-ils. "C'est dommage", dit Mogh Ruith. "Si
c'était lui qui était venu avec la tête, aucun homme de sa
descendance n'aurait jamais été vaincu en combat singulier, à
condition seulement qu'ils portent les armes d' un de mes descendants
dans le combat ", "Accorde-moi le privilège que tu viens
de dire, "dit Mogh Corb, "puisque c'est moi qui ai apporté
la tête avec moi, que c'est moi qui veille à l'accomplissement de
ton contrat, que c'est ma fille que tu as choisie et que je ne vaux
pas moins que Colptha." "Je te l'accorde", dit Mogh
Ruith, "aussi longtemps que tu accompliras tes engagements à
mon égard, à condition que chaque homme de ta descendance porte
dans le combat les armes d' un homme de la mienne."
Et
il dit le quatrain:
-
Tant qu'ils porteront dans le combat les armes d' un guerrier de la descendance de Mogh
— selon leur conventions.
Ils [leurs ennemis] succomberont sous leurs coups et se soumettront (?) à eux,
pourvu que ces conventions ne soient pas enfreintes.
Mogh Ruith
"Ceci
ne sera jamais enfreint à tes dépens." dit Mogh Corb. "Et,
en toute conscience, fais-nous une prophétie, et apprends- nous si
notre descendance prospérera, et si nous-mêmes nous élèverons."
"Oui", dit Mogh Ruith, "Tu accéderas toi- même au
trône de Munster, et il sortira de toi une longue dynastie qui
l'occupera." Et il dit la rhétorique: "Avec Mogh Corb je
combats", etc.
Ceci
est la mort de Colptha à Ath na n-Oc, et c'est d' après Colptha
qu'est nommé ce gué depuis lors.
Ils
restèrent ainsi jusqu'au lendemain de bonne heure. Au début de la
matinée, Lurga se mit en marche vers le même gué pour livrer
bataille; Cairpre Liffacair était avec lui, Cennmar se présenta
pour relever le défi de la part des Munstériens, et Mogh Corb avec
lui; il tenait à la main la pierre plate de main et la lance
druidique de Mogh Ruith. Ce serait perdre son temps que de décrire
les armes et les armures de chaque personnage qui va au combat; aussi
s'est-on dispensé de le faire.
Lorsque
Cennmar parvint au tertre du combat, au sud-ouest du gué, Lurga se
mit à le considérer et à l'interpeller. C'était un guerrier plein
de force et de fougue, et grande était la terreur qu'il inspirait à
Cennmar. Le père nourricier de Lurga lui promit qu'il
remporterait la victoire, et la gloire d' avoir tué Cennmar,
vengeant ainsi Colptha.
Quant
à Cennmar, il était ce jour-là dans de telles dispositions qu'il
aurait mieux aimé encourir mort et trépas que de ne pas affronter
Lurga de pied ferme, d' un coeur résolu, portant ses coups avec
fureur, et lançant ses traits avec fermeté et sûreté; au lieu que
la veille, en affrontant Colptha, il était plongé dans le désarroi
le plus complet.
Ils
engagèrent la conversation et se répondirent alternativement l'un à
l'autre.
Cennmar
s'avança vers le gué, sa pierre plate en main. Il se mit à la
louer, à la prier et à prophétiser le carnage qu'elle
accomplirait. II invoqua son dieu et le premier druide du monde, Mogh
Ruith et il dit: "Pierre plate, etc.".
Cet
entretien terminé, Lurga entra dans le gué, et Cennmar lui tint
tête furieusement: les coups succédaient aux coups et la riposte à
l'attaque. Mais quoique ce combat fût ardent et furieux, les armes
des guerriers ne tranchèrent brin ni poil du corps ou du vêtement
de l'adversaire, non pas que ces guerriers combattissent mollement et
sans courage, mais se dressa entre eux la force de la "pierre de
combat", le "combat de cent", le "vainqueur des
multitudes", la grande et meurtrière anguille de mer, qu'on
appelait "la Chevelue de Maeithremur". Elle bondit sur
Lurga comme elle avait bondi sur Colptha si bien que les deux
guerriers furent séparés, et que Lurga succomba. Et cela ne pouvait
manquer d' arriver, car son poison magique s'insinuait en tous ceux
qu'elle frappait dès qu'elle les frappait.
Cennmar
ne les laissa pas longtemps combattre tous deux, mais il s'approcha
d' eux et d' un coup du cimeterre éblouissant et flamboyant
qu'il tenait à la main, il coupa la tête de Lurga. Cette tête
sauta en l'air, et n'atteignit pas la terre en retombant, car Cennmar
la rattrapa au vol, avec dextérité et [obscur]
C'est
ainsi que périt Lurga.
Pendant
qu'ils étaient en train de batailler, ils étaient invisibles pour
les armées qui regardaient le combat, de toutes les hauteurs
environnant le gué. Et tous disaient: "O dieu que nous adorons,
la violence de la tempête et la masse des eaux dans le gué nous
empêchent de voir le dragon de feu qui livre ce combat, si bien que
nous n'aurons rien à décrire."
Là-dessus
le monstre se mit en marche dans le gué, vers le Nord, à la
poursuite de Cairpre Liffacair, sous les clameurs de l'armée de
Cormac. Cennmar se mit à la suivre, la retenant, lui parlant et lui
disant qu'elle ne devait pas suivre Cairpre Liffacair, que les gens
de Munster seraient désolés qu'elle se dirigeât vers l'armée,
qu'eux-mêmes se chargeraient d' infliger à celle-ci tels mauvais
traitements qu'ils jugeraient bon. Au cas où elle atteindrait la
première Cairbre, que du moins elle s'abstint de le maltraiter
et de le blesser. Cennmar donc s'appliquait ainsi à la retenir et il
la décrivait en disant: "Doucement, chevelue de Maeithremur ...
couche-toi sur la main douce du grand Mogh Ruith, Doucement".
Elle
reprit ensuite son apparence et sa forme primitive, et chacun s'en
retourna, qui au Nord, qui au Sud, à sa résidence et à son camp,
jusqu'au matin.
Les
brebis se mirent en marche le lendemain de bonne heure. Elles étaient
de couleur brune; leurs têtes étaient dures et osseuses, leur peau
cornée; elles avaient des becs de fer. Elles avaient la rapidité de
l'hirondelle, l'agilité de la belette, la rapidité des oiseaux et
étaient capables de tenir tête à cent guerriers à l'heure du
combat.
"O
Protecteur," dirent les gens de Munster, "les voici
revenues sous forme de trois brebis brunes, et elles sont capables de
plonger cent hommes dans les affres de l'agonie et de la mort."
"Je les écarterai de vous, ne craignez rien." dit Mogh
Ruith. Il demanda à Cennmar: "Où sont les ustensiles
druidiques que je t'ai donnés pour combattre ces gens?" "Je
les ai." dit Cennmar. Les ustensiles étaient: le briquet de
Simon, le silex de Daniel et l'amadou d' Ether le Protée. On
les donna à Mogh Ruith; voici la raison d' être de ces instruments:
ils donnaient la dureté de la pierre à la tête et au coeur des
Munstériens à l'heure du combat; le flamboiement du feu et une
couleur qui ne change pas en face des brebis6.
Mogh
Ruith porta trois coup, avec le briquet contre les pierres, et saisit
adroitement et doucement les trois brins d' amadou, qu'il mit dans le
pli de son vêtement, et il récita la rhétorique: "Levez-vous."
etc.
Il
dit ensuite à Cennmar: "Regarde ces matériaux. Sont-ils déjà
prêts?" Cennmar regarda et dit: "C'est bien, il en est né
deux chiennes et un chien mâle." Il les prit dans sa main pour
les examiner, puis les remit par terre, en leur tournant le visage
vers le Nord, du coté des brebis. Ils n'étaient d' abord pas plus
fort que des chiens nouveau-nés, mais à mesure que les brebis
s'approchaient d' eux, la force, la taille et l'ardeur batailleuse
des chiens croissaient.
Mogh
Ruith demanda à Cennmar: "Comment marchent les brebis?"
"C'est vers nous qu'elles marchent ", dit Cennmar. "La
brebis la plus âgée marche en tête, et la plus jeune en queue."
"Et les chiens, de quoi ont-ils l'air?" "Ils sont
semblables à de petits chiens: ils ouvrent les yeux, et ce sont les
brebis qu'ils regardent."
"Et
les brebis, comment marchent-elles?" "Deux d' entre elles
côte à côte et une derrière elles, et elles vont vite." "Et
les chiens, de quoi ont-ils l'air?" "Ils roulent leurs
yeux, et agitent les oreilles, et ce sont encore les brebis qu'ils
regardent." "Et les brebis, comment marchent-elles?"
"Elles sont comme seraient trois grands boeufs attelés à un
même joug, dur et bien proportionné; aucune d' entre elles ne
s'avance en avant de l'autre, et c'est avec ardeur, fougue et
violence qu'elles s'avancent au combat d' une même allure, et d' une
même résolution." "Et les chiens de quoi ont-ils l'air?"
"Ils ont agité les oreilles et levé les pattes et se
sont mis à se lécher la bouche, frottant leurs têtes contre leurs
pattes, et la bouche fermée." "Toutes supériorités pour
eux", dit Mogh Ruith, "car s'ils avaient la bouche ouverte
en allant au combat, il se trouverait un démon voleur pour leur
voler leur ardeur guerrière: comme c'est la bouche fermée qu'ils
vainquent, c'est de cette façon que leur race et leur descendance
vaincra dorénavant."
C'est
alors que Mogh Ruith dit à Cennmar de diriger les chiens vers le
tertre du combat. Et il instruisit les chiens à subir mort et trépas
plutôt que de laisser échapper les brebis.
C'est
alors que les chiens parvinrent au tertre du combat. Et les brebis
.arrivèrent au tertre correspondant et ils se mirent à se
considérer l'un l'autre.
Voici
comment étaient les brebis: elles avaient trois franges de feu, au
flamboiement rouge, autour de leur cou, si bien qu'il ne resta ni
brin ni touffe qui ne fût brûlé aux environs du gué, en deçà et
au delà. Ils se mirent ensuite à se massacrer mutuellement avec les
pierres et de grosses mottes de terre, qu'ils jetaient avec leurs
pattes et leurs griffes par delà le gué, vers le Nord ou vers le
Sud.
Les
chiens bondirent à l'attaque vers les brebis et le chien mâle
à leur tête, car c'est depuis longtemps que dit le vieux proverbe:
"Il convient que l'homme s'avance en premier. "Il saura sur
la brebis la plus grosse et la plus imposante qu'il vit parmi elles,
et ils s'attaquèrent l'un à l'autre, et ce fut un carnage violent
et furieux, et ils furent longtemps à combattre. Ce serait perte de
temps que de décrire ce combat.
Voici
pourtant comment étaient les chiens: trois franges de feu au
flamboiement rouge sortaient de leurs gueules. Lorsque les chiens et
les moutons se rencontrèrent, le feu sauta sur les brebis, si bien
qu'il ne leur resta ni brin ni poil qui ne fût brûlé. Le feu que
les brebis portaient autour du cou n'avait ni ardeur ni poison
druidique, même lorsqu'elles s'attaquaient à quelqu'un. Et en voici
la cause: lorsque Mogh Ruith s'installa à Cenn Claire, après s'être
joint aux gens de Munster, il mit dans l'air un souffle druidique qui
tomba sur le camp des druides sous forme d' un nuage noir. Le
résultat fut que le poison druidique de tous les druides qui
accompagnaient Cormac leur fut dérobé, comme dit le poète Daniel:
"Les
druides de la suite de Cormac [obscur] Mogh Ruith avec son
souffle leur a enlevé leur pouvoir magique."
Lorsque
les brebis constatèrent que la force et la puissance magique des
chiens surpassaient les leurs, elles regagnèrent la terre, tentées
de fuir devant les chiens, comme les brebis ont l'habitude de le
faire, et les chiens les empêchaient de le faire. Elles firent donc
demi-tour et s'enfuirent en déroute, sans s'arrêter de courir
jusqu'à ce qu'elles eussent atteint Dubhcaire; c'est là qu'elles
disparurent dans les profondeurs et les entrailles de la terre,
fuyant devant les chiens. Les chiens se précipitèrent à leur suite
et se saisirent d' elles au fond; ils eurent l'avantage sur elles, et
les dévorèrent jusqu'aux os.
Ensuite
ils sortirent et s'en allèrent vers l'Ouest de Munster. Les
molosses, les valets d' écurie et les palefreniers ainsi qu'un grand
nombre de jeunes gens du parti du Nord se mirent à leur poursuite,
si bien que c'est à grand' peine qu'ils leur échappèrent entre
deux tourbières. Car il se trouvait que la plus grande partie des
deux armées, aussi bien du Sud que du Nord, était postée sur les
collines et les hauteurs, regardant le combat et la fuite des brebis.
Cormac ni Fiacha ne le virent pas, cependant, car ils étaient dans
leur camp, environnés d' une petite suite, et ils n'en sortirent
point.
Ainsi
finit le combat des chiens et des brebis. C'est de ces brebis-là
qu'est nommé Cluithre Caerach, de nos jours, dans le district de
Mairtine en Munster, au Nord de Druim Damhgaire, aujourd' hui Long
Cliach. D'autre part, c'est de ces chiens-là que descendent tous les
chiens enragés qu'il y a en Irlande de nos jours, et qu'il y aura à
jamais.
Les
Munstériens poussèrent alors, pour célébrer ce combat, une
clameur qui fut entendue par toute la province.
Lorsque
Cithruadh eut vu périr les brebis il se rendit à la tête de
l'armée jusqu'au lieu où était Cormac (en deçà de la rivière);
Cormac demanda à Cithruadh: "Pourquoi pousse-t-on ces clameurs,
et qui est-ce qui les pousse?" "Les gens de Munster."
dit Cithruadh, "qui célèbrent leur victoire sur les gens en
qui tu as mis ta confiance et ton espoir, car les chiens magiques
qu'a faits Mogh Ruith les ont tués."
L'armée
de Cormac fut alors plongée dans la tristesse et le découragement,
tandis que les Munstériens se réjouissaient, et Cithruadh chanta le
poème: "Les armées du Sud se réjouissent, etc."
"Si
ce que tu dis est vrai." dit Cormac, "il n'y a pas de doute
qu'ils n'aient lieu de se réjouir." "C'est vrai"; dit
Cithruadh. "heureux qui est avec le parti du Sud, ce soir, et
infortuné qui est avec le parti du Nord, et j'aimerais mieux que ma
maison fût à Sech na Sogh, ce soir, quoique ce soit un lieu désert,
qu'à Rubai Ratha Ronan, quoiqu'elle y soit environnée d' une
population nombreuse. La fortune du combat sera contre vous cette
fois-ci, des bataillons et des bataillons succomberont, et notre sort
ne sera pas meilleur, à nous, les trois frères, car Mogh Ruith nous
transformera en trois pierres, lorsqu'il viendra cette fois-ci. "Et
il dit: "Infortuné cette nuit celui qui est du parti du Nord",
etc.
Après
cela, Cormac dit à Cithruadh: "Fais-nous quelque prophétie,
car tu fus le principal druide de mon père, et de mon grand-père,
comme tu es le mien. Et tu ne nous as pas davantage menti cette
fois-ci, et tu ne nous as pas davantage conseillé cette
expédition; mais ce n'était pas à toi qu'allait notre faveur, et,
si nous t'avons témoigné peu de considération, nous le
regrettons". "Je ne puis te faire aucune prophétie
favorable, "dit Cithruadh. "C'est toi qui seras vaincu
cette fois-ci, et dans toutes les actions où se trouveront les gens
de Munster, ce sont eux qui remporteront la victoire."
Cormac
resta à délibérer avec Cithruadh et lui dit d' aller causer avec
Mogh Ruith et de lui faire remarquer leur parenté d' origine, et de
lui dire de ne pas accabler les gens du Nord, parce que son père et
son grand-père étaient de la noblesse du Nord. "Offre-lui ces
récompenses par-dessus le marché", dit Cormac: "Le
royaume d' Ulster et les dédommagements dus pour la mort des fils d'
Uisliu, et un boeuf de chacun des domaines entre Tara et Carraic
Bracuidi, trois cents chevaux, trois cents cornes à boire, trois
cents bracelets et la place à ma droite à table."
Cithruadh
partit donc pour cette ambassade, et alla voir Mogh Ruith au lieu où
il se trouvait, le jour où il partit pour Sith Cairn Breacnatan vers
le Sud. Cithruadh le rejoignit là, et lui demanda de lui prêter son
attention, afin qu'il lui transmit le message de Cormac, de se
souvenir de leur parenté originelle, et ne pas plonger le parti du
Nord dans l'affliction et la servitude. "C'est pour moi un
devoir de les accabler." dit Mogh Ruith, "depuis qu'ils
envoyèrent Ferghus en exil, et lui enlevèrent le royaume d' Ulster,
et le privèrent de tout domaine et de tout rang; je me suis juré
que je les priverais de leur titre de grand-roi et que leur race
vivrait en esclavage dans des maisons étrangères, en châtiment."7
"Ce
n'est qu'un petit nombre parmi les nobles du Nord", dit
Cithruadh, "qui ont comploté cette injustice; ne peux-tu pas
accepter ces récompenses de la part de Cormac?" Et il lui
exposa quelles étaient ces récompenses. "Ne parle pas ainsi",
dit Mogh Ruith, "car je n'abandonnerais pas mon élève pour
tout l'or de la terre; va dire à Cormac que quand bien même il n'y
aurait en Munster personne que Mogh Corb, je n'abandonnerais pas ma
lutte suprême (?)."
Les
Druides se séparèrent alors, et Mogh Ruith n'accepta pas la
proposition que Cithruadh venait lui faire. Cithruadh s'en retourna
vers Cormac et lui dit que Mogh Ruith n'acceptait aucunement de leur
venir en aide ou de les protéger. Les descendants de Conn furent
alors plongés dans la tristesse et le désespoir fut dans leur camp.
Quant
à Mogh Ruith, il alla trouver Banbuanann, la druidesse, à Sidh
Cairn Breachnatan, pour y chercher de l'aide et pour lui demander
comment les Munstériens devaient marcher au combat.
Dès
qu'il arriva là, on lui souhaita la bienvenue; il passa la nuit en
ce lieu et demanda, du commencement à la fin, tout ce qui avait
rapport à la guerre, Banbuanann lui dit à ce sujet: "Mets-toi
en marche demain de bonne heure, tu remporteras la victoire avec les
gens de Munster." Et elle prononça la rhétorique suivante:
"Sors de bonne heure, lève-toi", etc.
Mogh
Ruith se mit donc en marche et sortit le matin de bonne heure; il
prit congé et se mit en devoir de sortir. C'est alors que Buan, le
fils de Mogh Ruith, dit: "J'ai eu une vision, dis-moi ce que
j'en dois penser, Mogh Ruith." "Parle", dit Mogh
Ruith. C'est alors que Buan eut recours à la vieille langue
vénérable, pour raconter sa vision, et il dit: "Il m'est
apparu ...", etc.
Mogh
Ruith se rendit ensuite au lieu où se trouvaient les gens de Munster
autour de Fiacha, à Cenn Claire. Et Fiacha lui demanda les
nouvelles; et Mogh Ruith dit: "J'obtiendrai pour toi un tribut,
et je réclamerai d' autres choses encore pour toi. "Et il dit
la rhétorique: "Un tribut, etc."
Quant
à Cormac, il se mit à délibérer avec Cithruadh, et lui demanda
s'il avait quelque moyen de venir en aide aux armées. "Il n'y a
rien qui puisse te secourir, excepté de faire un feu druidique."
"Comment le fait-on?" dit Cormac, "et à quoi cela
sert-il?" "Voici", dit Cithruadh. "Que les armées
aillent dans le bois, et qu'elles apportent du bois de sorbier avec
eux, car c'est avec cela que nous faisons les meilleurs feux. Et
vraisemblablement on répondra du Sud de la même façon; lorsque les
feux commenceront à flamboyer, chaque parti surveillera son feu. Et
s'il arrive que les feux se tournent vers le Sud (ce que je ne crois
pas) vous aurez intérêt à vous mettre à la poursuite des gens de
Munster. Si c'est vers le Nord qu'ils tournent, déguerpissez, car
vous serez vaincus, quand bien même vous vous obstineriez à tenir
tête."
Les
armées allèrent donc dans le bois sauf une petite suite, autour de
Cormac, et apportèrent du bois de sorbier avec eux.
Les
gens de Munster remarquèrent cela et dirent à Mogh Ruith: "O
protecteur, qu'est-ce que le parti du Nord est en train de faire?"
"Que font-ils? ", dit Mogh Ruith. "Ils réunissent de
gros fagots en un même lieu, si bien que le bûcher qu'ils ont n'est
pas moins haut que la colline que tu as abaissée." "C'est
vrai! "dit Mogh Ruith, "il nous convient maintenant de leur
riposter. Cormac a eu recours à ses propres druides, et ils sont en
train de faire un feu druidique. "Mogh Ruith dit alors aux gens
de Munster: "Allez dans le bois de Lethaird, vers le Sud, et que
votre dextérité ne soit pas moindre (que la leur); que chacun de
vous apporte un morceau (?) ou une poignée, excepté Fiacha seul;
que lui apporte une charge de l'arbre dur aux beaux [obscur]
des oiseaux de printemps (?) pris au flanc de la montagne, où se
rencontrent les trois abris: l'abri du vent de Mars, l'abri du vent
de la mer et l'abri du vent de façon que le feu flambe aussitôt
qu'on l'allumera. Et on n'enlèvera à aucun de vos successeurs (le
droit à) ces deux choses: une poignée et un fardeau d' épaule. Et
n'apportez aucun fagot, afin qu'on n'en fasse pas reproche à vos
successeurs, et qu'on ne les appelle pas "fagotiers."
Ils
allèrent ensuite dans le bois Caill Lethaird, que l'on appelle
aujourd' hui Caill Fhian. C'est des guerriers de Fiacha Muillethan
mac Eogain que ce bois a pris le nom qu'il porte encore. Ils
rassemblèrent et apportèrent avec eux la cueillette qu'on leur
avait demandée, qu'ils déposèrent au milieu du camp.
Mogh
Ruith dit à Cennmar: "Allume et prépare le feu." Cennmar
se leva alors et il disposa le bûcher ainsi: il en forma comme une
baratte (?) qui avait trois côtés et trois angles, mais sept
portes. Or le feu du Nord n'avait que trois portes et il n'était ni
disposé ni arrangé mais on s'était borné à entasser le bois
comme il était tombé (?).8
"Le
feu est prêt", dit alors Cennmar, "il ne lui manque que d'
être allumé." Mogh Ruith alors frappa son briquet. Or le feu
du Nord était prêt alors. Tous furent saisis de crainte et d' une
précipitation fébrile. Mogh Ruith dit alors aux gens de Munster:
"Hâtez-vous de couper des copeaux au côté de vos bois de
lance." Ils les coupèrent et les lui donnèrent. Il en fit un
mélange (?), il y mit le feu, et il l'agita en disant:
"J'agite
un feu efficace et puissant [obscur]" et il jeta le tout
dans le feu, en toute hâte. II s'alluma une grande flamme, avec un
grand fracas. Mogh Ruith dit la rhétorique:
"Dieu
des druides, mon Dieu avant tout autre dieu", etc.
"Maintenant,"
dit Mogh Ruith, "amenez mes boeufs et attelez-les à mon char;
tenez vos chevaux prêts et en main. Si les feux se tournent vers le
Nord, il vous faudra vous mettre à leur poursuite, et, dans ce cas,
n'arrêtez pas de les poursuivre que je ne m'arrête moi-même. Si au
contraire les feux viennent du Nord, défendez-vous contre eux, et
livrez- leur bataille parmi les routes, les défilés et les
retraites de la province. Sans doute, ne serez-vous pas contraints à
le faire, mais préparez-vous pour le cas où cela se produirait."
Ainsi
parla-t-il, puis il envoya un souffle druidique dans l'atmosphère et
dans le ciel, si bien qu'il se forma au-dessus de Cenn Claire une
obscurité et une nuée sombre d' où tombait une pluie de sang. Et
Mogh Ruith dit la rhétorique:
"J'envoie
un sortilège à l'aide d' un nuage, une pluie de sang en tombe sur
l'herbe", etc.
Dès
qu'il eut fini cette rhétorique, la nuée se mit en marche et vint
au-dessus de Cenn Claire, de là au-dessus du camp de Cormac, et de
là à Tara.
Cormac
dit à Cithruadh: "Quel est ce bruit que nous entendons?"
"C'est", dit Cithruadh, "une pluie de sang, suscitée
par un sortilège druidique, et c'est nous qui en supporterons les
effets funestes. "Le parti du Nord prit cela fort mal, et tous
firent un grand bruit et un grand tumulte en l'entendant. Cithruadh
prononça le poème: "Je vois une nuée au-dessus de Claire",
etc.
Il
y avait alors des bois et de grandes forêts dans la plaine centrale
de Munster: le Giusach, depuis Druim n-Eogubuil en allant vers l'Est
jusqu'au chemin de Caille Tochail, Colltanan depuis Druim n-Eogubuil
en remontant jusqu'à Claire, Ros Cno depuis Druim n-Eogubuil en
allant vers l'Ouest jusqu'à Esmaige; enfin Glenn Bebhthach (entre
les deux routes), depuis Druim n-Eogubuil en descendant vers Aine et
Carn Feradhaigh.
"Comment
sont les feux?" demanda Mogh Ruith, "Ils se poursuivent
l'un l'autre", dirent-ils, "en rasant la montagne, à
l'Ouest et au Nord, jusqu'à Druim nAsail, jusqu'au Shannon, puis
reviennent à leur point de départ."
"Comment
vont les feux?" demanda Mogh Ruith. "Toujours de même."
dirent-ils. "Ils n'ont laissé ni bois ni herbe dans toute la
plaine centrale de Munster, sans les brûler." Et ce lieu est
une lande depuis.
"Comment
sont les feux?" demanda Mogh Ruith. "Ils se sont élevés
jusqu'au firmament et jusqu'aux nuages du ciel", dirent-ils, "et
ils sont semblables à deux guerriers puissants et furieux, ou à
deux lions dévorants se poursuivant l'un l'autre."
On
apporta alors à Mogh Ruith sa peau de taureau brun sans cornes et sa
coiffure-oiseau tachetée au vol ailé, et ses autres instruments
druidiques: et il s'éleva dans l'air et dans le ciel en même temps
que les feux, et se mit à les battre de façon à les tourner vers
le Nord, en chantant la rhétorique: "Je fabrique les flèches
du druide (?)." etc.
Il
se mit donc à frapper les feux pour les tourner vers le Nord. Et
Cithruadh se mit à les frapper de même vers le Sud. Malgré ses
efforts, Mogh Ruith tourna les feux vers le Nord, et ils s'en
allèrent au-dessus du camp de Cormac, et il ne permit point aux feux
de se dresser une fois qu'il eut réussi à les rabattre. Cithruadh
s'abattit alors par terre avec son armée de druides et de fées. Ils
se mirent alors à ranger les vaillants bataillons nombreux et
[obscur]; ils disposèrent l'avant-garde et l'arrière-garde
et les encadrèrent d' une muraille de boucliers. L'armée se mit
alors en marche, sans que les druides leur permissent de s'arrêter
pour livrer bataille; ils recommandèrent aux hommes de faire leur
devoir lorsqu'il serait nécessaire.
Mogh
Ruith descendit alors et monta dans son beau chariot bien orné
attelé de boeufs impétueux et furieux aussi rapides que le vent de
Mars, aussi agiles qu'un oiseau. Il prit avec lui sa peau de taureau
brun sans cornes, et s'avança à la tête de l'armée. Il envoya
Cennmar presser les gens de Munster, et tous s'avancèrent pleins d'
ardeur à la suite du Druide.
Lorsqu'ils
parvinrent à Ard Cluain na Fene, ils rejoignirent l'arrière de
l'armée, sans que le reste de l'armée se portât à son secours.
Les guerriers de Munster parcoururent les rangs ennemis de droite et
de gauche, tels des chiens au milieu de petit bétail, les
traversant, les transperçant, les décapitant, les [obscur]
au Nord et au Sud, les massacrant, jusqu'à ce qu'ils parvinssent à
Magh Uachtair, dans la région est du Munster, aujourd' hui Magh
Raidhne. Les pertes de l'armée s'élevaient alors à huit cents
hommes.
C'est
alors que Mogh Ruith demanda, comme il s'avançait le premier: "Qui
donc se trouve immédiatement devant nous?" Et il le savait,
quoiqu'il le demandât. "Ce sont trois guerriers imposants aux
cheveux gris." lui répondit-on, "Cecht, Crota et
Cithruadh. "Mon dieu m'a promis que je les transformerais en
pierres quand je les aurai à ma portée, si seulement je parviens à
souffler sur eux." Il leur envoya un souffle druidique, si bien
qu'il les transforma en pierres; c'est de ces pierres-là que tire
aujourd' hui son nom Leaca Raighne.
Lorsque
les gens de Munster essayaient d' arrêter, Mogh Ruith les poussait
avec une vitesse et une énergie redoublées; il ne leur permit de
s'arrêter que lorsqu'ils eurent atteint Sliabh Fuait, ce même jour,
Fiacha planta sa tente là; depuis on appelle ce lieu ‘Inadh pupla
Fiachach’ (Emplacement de la tente de Fiacha).
Le
parti du Nord offrit alors aux gens de Munster de leur donner tous
les otages, tributs et contributions qu'il leur plairait. Mogh Ruith,
Mogh Corb, Fiacha et les gens de Munster n'acceptèrent rien avant
qu'ils eussent passé deux mois, deux trimestres et deux années dans
le Nord à dater du jour où ils s'arrêtèrent là. Même alors ils
déclarèrent qu'ils n'accepteraient aucune contribution à moins que
Cormac lui-même ne vint avec eux jusqu'à la demeure de Fiacha, du
moment que lui, Cormac, n'était pas en état de se défendre contre
eux et de les empêcher d' envahir et de dévaster sa province. Il
vint donc en personne leur remettre son tribut et sa contribution.
Fiacha
se mit en marche avec les gens de Munster; ils poursuivirent leur
route, mais l'on ne dit rien de leurs aventures jusqu'à leur arrivée
à Cnoc Raphann.
Connla
mac Taidg meic Cein, fils du frère du père de Fiacha fut envoyé à
Cormac pour qu'il l'élevât, et Cormac prit soin de l'éducation de
ce jeune homme, cette éducation lui étant imposée en manière de
redevance. Ils restèrent ainsi pendant longtemps en paix les uns
avec les autres.
Les
gens de Munster demandèrent à Mogh Ruith quelles étaient les
pertes subies par les partis du Nord et du Sud, et lesquelles avaient
été le plus considérable. Mogh Ruith le leur exposa clairement, et
il récita le poème:
-
Quatre cents braves guerriers — tel est leur nombre —
et de plus quatre-vingt, d' après mon calcul.
Tel est exactement le nombre des guerriers de Munster
qui ont été tués par les prodiges. -
Cinq druides de Cormac forgèrent des sorts
contre les provinces du Sud aux grandes assemblées.
Tel fut le nombre tué lors d' une action brillante
par les sortilèges spécieux des druides. -
Ils créèrent trois chiens bien dressés
pour détruire les brebis cruelles.
Ils créèrent une anguille de mer sous les flots,
pour ruer Colptha et Lurga. -
J'ai tourné les feux vers le Nord
contre le parti du Nord aux glaives valeureux.
Je n'ai laissé que la force d' une femme en couches
aux habitants de l'Est, aux descendants de Conn Cetcathach. -
Le combat tourna mal contre Conn,
au bénéfice des vaillants Munstériens (grande action).
Après la mort des hommes de l'art,
ils furent plongés dans la détresse. -
Quatre cents seigneurs ou rois
des armées de Cormac, d' après mon calcul (furent tués)
jusqu'à Formael — leurs chevaux ne firent qu'une étape
— parmi les descendants de Conn Cetcathach. -
Quatre cents brillants valets d' armes
de l'armée de Cormac sur la route, furent tués —
en nombre égal —
entre Formael et Raighne. -
Crota, Cecht, Cithruadh dans la plaine,
les druides de la race de Conn Cetcathach;
dans Magh Raighne au chevaux rouges,
ils furent changés par moi en dures pierres. -
Les pierres qui signalent leur tombe
resteront à perpétuité.
Leur nom sera une honte pour les provinces du Nord.
C'est Leaca Raighne qu'on les appelle. -
II y avait là cinq groupes de sept hommes
qui n'avaient à eux tous que cinq noms.
Toutes les armées battirent en retraite,
tous, excepté trois hommes (?). -
(Il y avait ) sept Cecht, sept Crota — en vérité —
sept Cithach et sept Cithmor,
sept Cithruadh — fière et brillante leur action —
qui possédaient le secret de mystérieux sortilèges druidiques. -
[...]
Ath an tSloigh (Le Gué de l'armée )
quelque peu au Nord de Maigh Raighne.
Cent quarante hommes y périrent
parmi les armées de Cormac — je ne le cache pas. -
Deux cents quarante
périrent à partir de ce gué en s'en allant vers l'Est (ceci n'est pas un mensonge).
Sur chaque chemin, pour le parti du Nord,
ils ne trouvèrent pas de protection à Tara (?). -
Mille quarante et huit hommes
durant la poursuite,
telles furent les pertes éprouvées par le parti du Nord
[...]
[...]
[...] -
C'est une grande et sanglante action
et qui fut accomplie en un seul jour.
C'est là la plus grande expédition
que guerrier ait jamais entreprise, la plus féconde en actions d' éclat. -
Depuis Cenn Claire ce fut une route splendide
jusqu'à Glenn Righ Righe dans le Nord.
Fiacha aux nombreux bataillons
et Mogh Corb au sabre rouge
décidèrent qu'ils ne seraient pas satisfaits
que Cormac ne fût devenu leur otage. -
Du moment que le beau Cormac a refusé
ce que Fiacha
[lacune]
lui offrait,
il ne recevra de lui que ce qu'il plaira à Fiacha,
quoique celui-ci lui ait d' abord beaucoup offert.
Mogh Ruith
Les
Munstériens quittèrent ensuite Cnoc Raphann, et s'en retournèrent
à leurs demeures et à leurs résidences respectives. Cormac de son
coté s'en retourna à Tara.
Connla
fut élevé près de Cormac, comme nous l'avons déjà dit, si bien
qu'il devint habile au métier des armes et bon gentilhomme et qu'il
était cité en modèle à toute l'Irlande, tant il excellait en
tout. Il se prit d' amour pour une femme de Sidh Locha Gabar, et il
l'outragea, malgré sa résistance. Celle-ci lui demanda comme une
grâce de venir avec elle dans sa demeure magique: il n'y vint pas:
"Viens du moins", dit-elle, "et tourne ton visage vers
la place forte qui est en face de toi, pour que la population (du
Sidh) puisse te voir du moment que tu n'y vas pas en personne. "Il
vint avec elle et tourna son visage vers la demeure. La femme
aussitôt raconta aux gens de l'autre rive l'outrage qu'on lui avait
fait.
Ils
demandèrent alors réparation à Connla. II refusa: "Tu nous as
déshonorés", dirent-ils. "Vous pouvez bien le dire",
dit-il. "Nous te déshonorerons donc", dirent-ils. Et tous
projetèrent leur haleine sur lui, si bien qu'une éruption de gale
chauve poussa sur lui, de la tête aux pieds, et cette éruption
était abondante sur sa tête et son visage; et il regretta, alors,
son action.
Il
s'en retourna, tout souillé et défait auprès de Cormac. Celui-ci
jeta les yeux sur Connla, et éclata en gémissements. "Qu'as-tu
donc, Cormac, mon cher ami?" "J'ai que je ne puis
supporter", dit Cormac, "de te voir dans un tel état, tant
est grande l'affection que je te porte. Et de plus, c'est sur toi que
je comptais pour venger mes griefs envers Fiacha, car je t'aurais
assuré le trône de Munster." "Ne connais-tu", dit
Connla, "aucun remède qui puisse avoir raison de cette
maladie?" "Quoique j'en connaisse", dit Cormac, "ce
n'est rien que tu puisses obtenir." "Quoi donc?", dit
Connla. "Le sang d' un roi", dit Cormac, "pour t'y
baigner". "Qui est ce roi?" dit Connla. "Fiacha
Muillethan", dit Cormac, "est ce roi, et tu te rendrais
coupable du meurtre d' un parent en le tuant. Mais si tu t'appliquais
son sang, tu en recevrais la guérison." "J'aime mieux"
dit Connla, "que périsse un ami, plutôt que de rester moi-même
dans cet état, si du moins je dois croire ce que tu me dis."
"Je te jure le serment que jure mon peuple" dit Cormac,
"que cela est vrai." "J'irai donc le trouver",
dit Connla.
Il
alla à Cnoc Raphann, à la résidence de Fiacha. Fiacha fut désolé
de le voir dans cet état, il s'en affligea, et lui souhaita la
bienvenue. Il s'efforça de le guérir, lui donna le tiers de sa
confiance, un lit aussi haut que son propre lit; c'est Connla qui
délivrait les messages qu'il envoyait ou recevait, et il
recevait le salaire dû à ses offices de messager. Et ils furent
longtemps ainsi: Connla sortait et rentrait souvent avec Fiacha.
Un
jour ils allèrent sur le bord de la Suir et Fiacha désira se
baigner, et il se dévêtit et laissa sa lance large, au fer
brillant, entre les mains de Connla. Connla saisit la lance, et porta
à Fiacha un coup tel que la lance le transperça. "Hélas!"
dit Fiacha, "c'est une action affreuse contre un frère; c'est
un grand meurtre, et ce crime est fait à l'instigation d' un
ennemi." Et il dit: "Crime d' un ennemi, etc."
"Baigne-toi
comme on te l'a dit", dit Fiacha, "mais malgré cela tu
n'en recevras aucun soulagement et tes ennemis s'en réjouiront."
Ainsi
périt tragiquement Fiacha. Ceci se passa à Ath Leathan, aujourd'
hui Ath lsiul, c'est-à-dire Tuisiul (de la chute). C'est de là que
vient le nom que le gué porte depuis lors, comme le dit le quatrain:
-
Ath Tusil (Gué de la chute) est le nom du gué,
tout le monde en connaît la raison.
Connla de Cnoc Den y fit tomber
le brave Fiacha Muillethan.
Ceci
n'apporta aucun soulagement à Connla, et c'est de faim et de gale
qu'il mourut, car aucun membre de la famille d' Eogan ne le laissa
entrer dans sa maison. Ils ne pensèrent pas que ce fût la peine d'
exercer contre lui aucune autre vengeance.