mercredi 26 août 2015

Imâm et Graal



« L’idée shî’ite de la walâyat correspond, sous un de ses aspects, à l’idée de la « communion des saints » dans le christianisme. L’affiliation à ce corps mystique ne suppose ni rituel ni cérémonial d’initiation. C’est le « candidat » qui, en fait, s’engage lui-même, comme jadis l’on s’engageait dans la quête du Graal, ou comme le pèlerin Adam, formulant et renouvelant son engagement à l’« Ange », secret de la Pierre Noire qu’il portait avec lui. La réalité du pèlerinage du cœur s’accomplit dans l’invisible qui est le malakût. Ses effets fructifient dans la formation du jism mithâlî, le corps imaginal, et c’est l’ensemble de tous les « corps de lumière » qui forment l’invisible sodalité. Celle-ci a bien une forme, voire une organisation et une structure, mais tout cela dans le malakût : les membres de la hiérarchie ésotérique dont parle la théosophie shî’ite, ne sont connus que de Dieu seul. Et de même que c’est de cette Église invisible, Ecclesia spiritualis, qu’il a été dit que « les puissances de l’Enfer ne prévaudront pas contre elle », de même Qâzî Sa’îd nous a rappelé la parole de l’Imâm Rezâ déclarant que « la Religion divine ne périrait pas, tant que durerait le Temple de la Ka’aba », parole visant le Temple immatériel de la foi, qui a pour garant et gardien le douzième Imâm, l’Imâm caché. Gardien de ce Temple, il est caché aux yeux des hommes, comme l’est le saint Graal, depuis la disparition de celui-ci en la cité spirituelle de « Sarras », c’est-à-dire à la limite du malakût et de notre monde. Et la raison qui de part et d’autre, nous est donnée de cette occultation, est la même. Les hommes n’étaient plus dignes ni capables de voir le Graal, de même qu’ils sont devenus indignes et incapables de voir l’Imâm. De part et d’autre, nous sommes invités à méditer une même occultation pesant sur la situation actuelle de notre monde. »



Henry Corbin (in Temple et Contemplation)




dimanche 23 août 2015

Le Dialogue des Deux Sages




Le Dialogue des deux Sages (Immacallam in dá Thuaraid ou Agallam in da Suad) est un texte médiéval irlandais, contenu dans une douzaine de manuscrits, dont les principaux sont : le Livre de Leinster (conservé au Trinity College de Dublin, composé vers 1150), le Yellow Book of Lecan (du XV° siècle, également au Trinity College) et le ms. Rawlinson B.502 (des XI° et XII° siècles, conservé à la Bodleian Library d'Oxford).


Il a été édité et traduit en anglais par Whitley Stokes en 1905 dans la Revue Celtique. La présente traduction française est de Christian-J. Guyonvarc'h, ancien professeur de civilisation celtique à l'Université de Rennes II, publiée sous le titre Le Dialogue des Deux Sages en 1999 aux éditions Payot.


La langue est archaïque et souvent obscure. L'argument est le suivant : Néde, fils du "docteur d'Irlande" (druide-poète le plus élevé en grade) Adnae, apprend que ce dernier est mort, et qu'il a été remplacé dans sa charge par Ferchertne, poète d'Ulster. Il vient revendiquer le titre, et engage avec Ferchertne un dialogue rempli de métaphores, de symboles et d'images difficiles, au terme duquel l'un des deux interlocuteurs reconnaîtra la suprématie de l'autre. Il s'agit du seul document authentiquement druidique qui nous soit parvenu.





§ 1. Adna, fils d'Uthidir, des gens du Connaught, était docteur d'Irlande en science et en poésie. Il avait un fils, à savoir Néde. Ce fils alla donc apprendre la science en Ecosse, chez Eochu Echbel, et il fut chez Eochu jusqu'à ce qu'il fût habile en science.1

§ 2. Un jour, le garçon alla jusqu'au bord de la mer, car c'était toujours un endroit de révélation de science pour les poètes que le bord de l'eau. Le garçon entendit un bruit dans la vague, à savoir un chant de plainte et de tristesse, et cela lui parut étrange. Le garçon mit alors une incantation sur la vague jusqu'à ce qu'elle lui montrât ce que c'était. Après cela il lui fut expliqué que la vague était en train de pleurer son père après sa mort, que sa robe avait été donnée au file Ferchertne et qu'il avait pris la charge de docteur à la place de son père à lui, Adnae.2

§ 3. Le garçon alla à sa maison et dit cela à son tuteur, à savoir Eochaid. Et il [Eochaid] lui dit : "Va dans ton pays maintenant. Nos deux sciences ne tiendront pas en un seul endroit car ta science t'a clairement montré que tu es docteur en connaissance."

§ 4. Néde partit alors, et ses trois frères avec lui, à savoir Lugaid, Cairpre, Cruttine. Il rencontrèrent une tige de digitale sur le chemin. L'un deux dit : pourquoi cela s'appelle-t-il une digitale ? Comme ils ne le savaient pas, ils retournèrent chez Eochaid et furent un mois chez lui. Ils reprirent leur chemin. Ils rencontrèrent un roseau. L'un d'eux dit : pourquoi cela s'appelle-t-il un roseau ? Comme ils ne le savaient pas, ils retournèrent chez leur tuteur. Il s'en allèrent de chez lui au bout d'un autre mois. Il rencontrèrent une tige de sanicle. Comme ils ne savaient pas pourquoi on appelait cela une tige de sanicle, il retournèrent chez Eochaid et ils furent un autre mois chez lui.

§ 5. Quand ces questions eurent été résolues pour eux, ils partirent pour Cantire, et il alla après cela à Rind Snoc. De Port Rig il passèrent ensuite la mer et atteignirent Rind Roisc. Ensuite [ils passèrent] par Semne, par Latharne, par Mag Line, par Ollarba, par Tulach Roisc, par Ard Slébe, par Craeb Selcha, par Mag Ercaite, sur la Bann, le long de Uachtar, par Glenn Rige, par les cantons des Hui Bresail, par Ard Sailech, que l'on appelle aujourd’hui Armagh, par le Sidbruig d’Emain.

§ 6. C’est donc ainsi qu'allait le garçon, avec une branche d’argent au-dessus de lui, car c’est ce qui était au-dessus des anruth. [il y avait] cependant une branche d’or au-dessus des docteurs, une branche de bronze au-dessus de tous les autres poètes.3

§ 7. Ils partirent alors pour Emain Macha. Ils rencontrèrent alors Bricriu sur la prairie. Il leur dit que, s'ils lui donnaient sa récompense, Néde serait docteur d'Irlande par son conseil et son intercession. Néde lui donna une tunique pourpre avec un ornement d'or et d'argent. Bricriu lui dit alors d'aller s'asseoir à la place du docteur et il lui dit que Ferchertne était mort alors qu'il était au nord d'Emain, guidant la sagesse de ses élèves.4

§ 8. Et Bricriu dit alors qu'un homme imberbe ne s'emparerait pas de la charge de docteur à Emain Macha parce qu'il était puéril quant à ce qui était de l'âge. Néde prit une pleine poignée d'herbe, y mit une incantation si bien que chacun pensait qu'il avait une barbe. Il alla s'asseoir sur le siège du docteur et prit sa robe autour de lui. La robe était de trois couleurs, à savoir la couleur d'oiseaux brillants au milieu ; une averse de bronze blanc à la partie inférieure et le brillant de l'or à la partie supérieure.

§ 9. Après cela Bricriu alla à Ferchertne et il lui dit : "Il serait dommage pour toi que tu sois exclu de la qualité de docteur aujourd'hui. Un jeune homme honorable a pris la place de docteur à Emain." Ferchertne fut fâché et il entra dans la maison royale si bien qu'il fut sur le seuil, la main sur le montant [de la porte]. Il dit alors : "Qui es-tu, poète, poète… ?…".

§ 10. Le lieu de ce dialogue est cependant Emain Macha. Le temps en est le temps de Conchobar, fils de Nes. L'auteur en est Néde, fils d'Adnae du Connaught, ou bien il est des gens de la déesse Dana, comme il le dit lui-même dans le dialogue : "Je suis fils de Dan ("Poésie"), Dan fils d'Osmenad ("Attention")" – et Ferchertne, le poète des Ulates. La cause de la composition est que la robe d'Adnae avait été donnée à Ferchertne par Medb et Ailill après la mort d'Adnae. Si bien que Néde, fils d'Adnae, vint d'Ecosse comme nous l'avons dit à Emain et s'assit dans la chaire du docteur. Ferchertne entra dans la maison et il dit en voyant Néde :5

  • Qui est ce poète, ce poète autour de qui est la robe avec sa splendeur?
  • Il se montrerait après avoir chanté de la poésie.
  • A ce que je vois, c'est un apprenti.
  • D'herbe est l'arrangement de sa grande barbe.
  • A l'endroit de la musique chantée.
  • Qui est ce poète, poète de dispute ?
  • Je n'ai pas entendu quelque chose de l'intelligence du fils d'Adnae.
  • Je n'ai pas entendu [parler de lui] avec un savoir sûr.
  • C'est une erreur, par [mes] lettres, que le siège de Néde.

Voici la réponse honorable que Néde fit à Ferchertne :


Dixit Néde :

  • Un ancien, ô mon aîné,
  • chaque sage est un sage d'enseignement.
  • Un sage est le reproche de tout ignorant.
  • Tu verrais qu'il sait à l'avance quel reproche, quelle nature [est en nous]
  • Bienvenue est même l'intelligence perçante de la sagesse.
  • Le défaut d'un jeune homme est mince si son art n'a pas été bien interrogé.
  • Suis, maître, [une démarche plus régulière]
  • Tu montres mal, tu as mal montré.
  • Tu me dispenses très maigrement l'aliment de la science.
  • J'ai sucé le suc d'un homme bon, riche en trésors.


Dixit Ferchertne :

  • Une question, ô jeune homme d'instruction, d'où es-tu venu ?


Respondit Néde

  • Ce n'est pas difficile :
  • Du talon d'un sage, 6
  • d'un confluent de sagesse, 7
  • de perfections de bonté,
  • du brillant du soleil levant, 8
  • des noisetiers de l'art poétique, 9
  • de circuits de splendeur,
  • par lesquels on mesure le vrai selon l'excellence,
  • par lesquels on apprend la vérité,
  • dans lesquels est placé le mensonge,
  • par lesquels on voit les couleurs,
  • par lesquels les poèmes sont renouvelés.
  • Et toi, ô mon aîné, d'où es-tu venu ?

Respondit Ferchertne :

  • Ce n'est pas difficile : le long des colonnes de l'âge, 10
  • le long des fleuves du Leinster, 11
  • le long de la colline magique de la femme de Nechtan, 12
  • le long de l'avant-bras de la femme de Nuada, 13
  • le long du pays du soleil,
  • le long de la demeure de la lune, 14
  • le long du cordon ombilical du jeune homme. 15
  • Une question, ô garçon d'enseignement, quel est ton nom ?


Néde respondit :

  • Ce n'est pas difficile : très petit, très grand, très dur, très brillant. 16
  • Ardeur du feu,
  • Feu de paroles,
  • Bruit de connaissance,
  • Source de richesse, 17
  • Epée de chant. 18
  • Art direct, avec l'amertume du feu.
  • Et toi, ô mon aîné, quel est ton nom ?


Respondit Ferchertne :

  • Ce n'est pas difficile : le plus proche des présages,
  • le héros qui explique, qui dit, qui interroge. 19
  • Recherche de science.
  • Trame d'art. 20
  • Panier de poésie. 21
  • Abondance venant de la mer. 22
  • Une question, ô garçon d'enseignement, quel art, pratiques-tu ?


Respondit Néde :

  • Ce n'est pas difficile : faisant rougir le visage,
  • perçant la chair, 23
  • colorant la pudeur, 24
  • frappant l'impudence,
  • nourrissant la poésie, 25
  • recherchant la renommée,
  • courtisant la science
  • ayant un art pour chaque bouche, 26
  • diffusant le savoir,
  • dépouillant la parole, 27
  • dans une petite chambre, 28
  • le bétail d'un sage, 29
  • un fleuve de science,
  • abondance d'enseignement, 30
  • délices de rois, récits limpides.
  • Et toi, ô mon aîné, quel art pratiques-tu ?


Respondit Ferchertne :

  • Ce n'est pas difficile : la chasse à l'aide, 31
  • établir la paix, 32
  • ordonner une troupe, 33
  • tribulations de jeunes hommes, 34
  • célébration de l'art,
  • une couverture avec un roi, 35
  • ?… la Boyne, 36
  • briamon smethrach, 37
  • le bouclier d'Athirne,38
  • une part de nouvelle sagesse venant du fleuve de science,
  • colère de l'inspiration,
  • structure d'intelligence,
  • art des petits poèmes
  • arrangement clair
  • récits rouges, 39
  • un chemin glorifié, 40
  • une perle dans le siège, 41
  • secourant la science après un poème.


Dixit Ferchertne :

Une question, ô garçon d'enseignement, qu'as-tu entrepris ?

Respondit Néde :

  • Ce n'est pas difficile : [aller] dans la plaine de l'âge,
  • dans la montagne de la jeunesse
  • à la poursuite de l'âge, 42
  • à la suite d'un roi,
  • dans une demeure d'argile,
  • entre la chandelle et sa tête, 43
  • entre la bataille et son horreur, 44
  • parmi les hommes forts de Tethra, 45
  • parmi les stations …?…, 46
  • parmi des fleuves de connaissances.
  • Et toi, ô mon aîné, qu'as-tu entrepris ?


Respondit Ferchertne :

  • Ce n'est pas difficile : [aller] dans la montagne du rang, 47
  • dans la communion du savoir,
  • dans les contrées des hommes de la connaissance,
  • dans le sein de la révision poétique,
  • dans l'estuaire des générosités,
  • à l'assemblée du verrat du roi, 48
  • dans le peu de respect d'hommes nouveaux
  • sur la pente de la mort, là où il y a abondance de grands honneurs.
  • Une question, ô garçon d'enseignement, par quelle route es-tu allé ?


Respondit Néde :

  • Ce n'est pas difficile : sur la plaine blanche du savoir, 49
  • sur la barbe d'un roi,
  • sur la forêt de l'âge,
  • sur le dos du bœuf de la charrue,
  • sur la clarté de la lune d'été,
  • sur de bons fromages, 50
  • sur la rosée d'une déesse, 51
  • par la rareté du blé,
  • sur un gué de peur,
  • sur les hanches d'un bon logis.
  • Et toi, ô mon aîné, par quelles routes es-tu allé ?


Respondit Ferchertne :

  • Ce n'est pas difficile : sur l'aiguillon de Lug, 52
  • sur les seins de femmes douces,
  • sur la chevelure d'un bois,
  • sur la tête d'une lance,


  • sur une tunique d'argent,
  • sur un châssis de char sans fond,
  • sur un fond sans char, 53
  • sur les trois ignorances du Fils du Jeune. 54
  • Une question, ô garçon d'enseignement, de qui es-tu le fils ?


Respondit Néde :

  • Ce n'est pas difficile : fils de Poésie
  • Poésie, fille d'Examen,
  • Examen, fils de Méditation,
  • Méditation, fille de Grand Savoir,
  • Grand Savoir, fils de Recherche
  • Recherche, fille d'Investigation,
  • Investigation, fille de Grand Savoir,
  • Grand Savoir, fils de Grand Bon Sens
  • Grand Bon Sens, fils de Compréhension
  • Compréhension, fille de Sagesse,
  • Sagesse, fille des trois dieux de Dana. 55
  • Et toi, ô mon aîné, de qui es-tu le fils ?


Respondit Ferchertne :

  • Ce n'est pas difficile : je suis fils de l'homme qui a été et qui n'est pas né, 56
  • qui a été enseveli dans le sein de sa mère, 57
  • qui a été baptisé après sa mort, 58


  • qui a été lié à la mort dès sa première apparence,
  • [qui est] la première parole de tout être vivant,
  • le cri de tout être mort,
  • le A (Ailm) dont le nom est très élevé.
  • Une question, ô garçon d'enseignement, as-tu des nouvelles ?


Respondit Néde :

  • Il y a, en vérité, de bonnes nouvelles,
  • mer fertile,
  • côte grouillante,
  • les bois sourient,
  • fuite de feuilles,
  • les arbres fruitiers prospèrent,
  • croissance des champs de blé,
  • de nombreux essaims d'abeilles,
  • un monde radieux,
  • une paix heureuse,
  • un été aimable,
  • des troupes payées,
  • des rois pleins de soleil,
  • une sagesse merveilleuse
  • des batailles s'éloignent,
  • chacun a son art propre,
  • des hommes de valeur,
  • couture pour femmes,
  • […?…]
  • des trésors rient,
  • pleine valeur,
  • plénitude de chaque art,
  • tout homme de bien est beau,
  • toute nouvelle est bonne,
  • bonnes nouvelles.
  • Et toi, ô mon aîné, as-tu des nouvelles ?


Respondit Ferchertne :

  • Ce sont en vérité de terribles nouvelles : ce sera un mauvais temps qui durera longtemps, pendant lequel les chefs seront nombreux,
  • pendant lequel les honneurs seront rares ; les vivants anéantiront les bons jugements.
  • Le bétail du monde sera stérile.
  • Les hommes rejetteront la pudeur.
  • Les champions des grands seigneurs s'en iront.
  • Les hommes seront mauvais. Les rois seront rares. Les usurpateurs seront nombreux.
  • Les disgrâces seront légions. Chaque homme sera disgrâcié.
  • Les chars périront après la course.
  • Des ennemis épuiseront la plaine de Niall. 59
  • La vérité ne garantira plus l'excellence.
  • Les sentinelles autour des églises seront battues.
  • Tout art sera bouffonnerie.
  • Tout mensonge sera choisi.
  • Chacun sortira de son propre état avec orgueil et arrogance, si bien que ni le rang, ni l'âge, ni l'honneur, ni la dignité, ni l'art [poétique], ni l'instruction ne seront respectés.
  • On brisera quiconque est intelligent.
  • Chaque roi sera pauvre.
  • Tout ce qui est noble sera méprisé, tout ce qui est servile sera élevé, si bien que ni dieu ni homme ne seront adorés.
  • Les nobles périront devant les usurpateurs par l'oppression des hommes aux lances noires.
  • La foi sera détruite.
  • Les sacrifices seront troublés.
  • Les seuils [des églises] seront écroulés.
  • Les cellules seront minées.
  • Les églises seront brûlées.
  • Les cuisines seront dévastées par avarice.
  • L'inhospitalité détruira les fleurs.
  • Les fruits tomberont par les mauvais jugements.
  • Le sentier de chacun périra.
  • Des chiens infligeront des blessures aux corps si bien que chacun […?…] contre sa suite par noirceur, rancœur et mesquinerie.
  • Il y aura un refuge pour la rancœur et la mesquinerie à la fin du dernier monde.
  • Il y aura de nombreuses discussions avec les gens d'art.
  • Chacun s'achètera un satiriste pour satiriser à son profit.
  • Chacun imposera une limite à l'autre.
  • La trahison s'aventurera sur chaque colline, si bien que ne protégeront ni lit ni serment.
  • Chacun blessera son voisin, si bien que chaque frère trahira l'autre.
  • Chacun frappera son compagnon de boisson et de repas, si bien qu'il n'y aura ni vérité ni honneur ni âme.
  • Les avares se dessécheront mutuellement.
  • Les usurpateurs se satiriseront l'un l'autre avec des tempêtes de noirceur.
  • Les grades seront renversés ; la cléricature sera oubliée ; les sages seront méprisés.
  • La musique se tournera en grossièreté.
  • La qualité guerrière se tournera en cellules et en cléricature.
  • La sagesse sera changée en faux jugements.
  • La loi du seigneur se tournera contre l'Église.
  • Le mal passera dans la pointe des crosses.
  • Tout mariage deviendra adultère.
  • Un grand orgueil et un grand libre arbitre seront dans les fils de paysans et de vauriens.
  • Une grande avarice, une grande inhospitalité et une grande mesquinerie seront chez les tenanciers si bien que leurs arts [poétiques] seront noirs.
  • Le grand art de la broderie passera chez les fous et les prostituées si bien que l'on attendra des vêtements sans couleur.
  • Des jugements faux passeront chez les rois et les seigneurs.
  • L'ingratitude et la méchanceté viendront dans chaque esprit, si bien que le serviteur et la servante ne serviront plus leurs maîtres, que ni roi ni seigneur n'entendront plus les prières de leurs cantons, ni leurs jugements ; que les intendants n'écouteront plus les moines ni leurs gens et qu'ils ne paieront plus de composition au seigneur pour ce qui lui est dû ; que le bénéficiaire ecclésiastique ne servira plus de son bien son église et son abbé régulier ; que la femme ne supportera plus la parole de son mari au-dessus d'elle ; que les fils et les filles ne serviront plus leurs pères et leurs mères ; que les étudiants ne se lèveront plus devant leurs professeurs.
  • Chacun tournera son art en mauvais enseignement et en fausse intelligence pour essayer de dépasser son maître, si bien que le plus jeune trouvera bon d'être assis avec son aîné debout à côté de lui ; il n'y aura plus de honte pour le roi ou pour le seigneur à aller boire et manger avec le compagnon qui le sert, ou en présence de sa suite ou de la compagnie qui viendra avec lui ; il n'y aura plus de honte pour un fermier d'aller manger après avoir fermé sa maison à un homme d'art qui a vendu son honneur et son âme pour un manteau et de la nourriture ; chacun se tournera contre son compagnon en mangeant et en buvant en particulier ; l'envie remplira chaque homme ; l'homme fier vendra son honneur et son âme pour le prix d'un scrupule.
  • La modestie sera rejetée ; le peuple sera bafoué ; les seigneurs seront anéantis ; les rangs seront méprisés ; le dimanche sera déshonoré. Les lettres seront oubliées ; les poètes seront anéantis.
  • La vérité sera abolie ; de faux jugements apparaîtront chez les usurpateurs du dernier monde ; les fruits seront brûlés après leur apparition par une foule d'étrangers et de gens de rien.
  • Il y aura une trop grande foule dans chaque pays.
  • Les pays s'étendront dans la montagne.
  • Chaque forêt sera une grande plaine. Chaque plaine sera une grande forêt.
  • Chacun deviendra esclave avec toute sa famille.
  • Après cela, il viendra de nombreuses et cruelles maladies, des tempêtes subites et effroyables, des éclairs avec des fracas d'arbres.
  • L'hiver aura des feuilles ; l'été sera sombre ; l'automne sera sans moisson, le printemps sera sans fleur.
  • Il y aura mortalité avec famine.
  • Maladies sur les troupeaux ; vertige, consomption, hydropisie, peste, enflure, fièvre.
  • Trouvailles sans profit, cachettes sans trésors, biens sans hommes.
  • Extinction des champions,
  • manque de blé,
  • parjures.
  • Jugements de colère,
  • une mort de trois jours et de trois nuits pour les deux tiers des hommes,
  • un tiers de ces plaies sur les bêtes des mers et des forêts.
  • Il viendra après cela sept années de lamentation,
  • les fleurs périront,
  • dans chaque maison il y aura des lamentations,
  • des étrangers ravageront la plaine d'Irlande,
  • les hommes serviront des hommes.
  • Il y aura un combat autour de Cnamchaill. 60
  • De beaux bègues seront tués, 61
  • des filles concevront pour leurs pères,
  • des batailles seront livrées autour d'endroits célèbres.
  • Il y aura la désolation autour des hauteurs de l'île des Prairies.
  • La mer envahira chaque terre avec les résidences de la Terre de Promesse. 62
  • L'Irlande sera abandonnée sept ans avant le Jugement.
  • Il y aura deuil après les massacres.
  • Après cela viendront les signes de la naissance de l'Antéchrist,
  • des monstres seront engendrés dans chaque canton,
  • les étangs se tourneront contre les fleuves,
  • le crottin de cheval aura la couleur de l'or,
  • l'eau prendra la goût du vin,
  • les montagnes deviendront des pays parfaits, les tourbières deviendront des champs fleuris,
  • des essaims d'abeilles seront brûlés dans les montagnes,
  • les flots de la mer sur la plage seront retardés d'un jour à l'autre.
  • Il viendra après cela sept années sombres.
  • Elles cacheront les lumières du ciel,
  • au trépas du monde elles iront en présence du Jugement.
  • Ce sera le Jugement, ô fils ; grandes nouvelles, nouvelles effrayantes, un mauvais temps.


Dixit Ferchertne :

Une question, sais-tu, ô petit, grand, ô fils d'Adna, qui est au-dessus de toi ?


Respondit Néde :

  • Ce n'est pas difficile. Je connais mon Dieu créateur.
  • Je connais mon prophète le plus sage.
  • Je connais mon noisetier de poésie.
  • Je connais mon Dieu fort.
  • Je connais le grand poète et devin Ferchertne.

Le garçon s'agenouilla alors devant lui. Puis Néde jeta à Ferchertne la robe de poète, qu'il ôta, et il se leva du siège de poète, où il était, pour se jeter aux pieds de Ferchertne. Et Ferchertne dit :


Dixit Ferchertne :

  • Reste, ô petit, grand, fils d'Adna, reste ô grand poète de connaissance, ô fils d'Adna !
  • Que tu sois magnifié et glorifié !
  • Que tu sois célèbre et puissant dans l'opinion de l'homme et de Dieu.
  • Que tu sois un panier de poésie.
  • Que tu sois le bras d'un roi.
  • Que tu sois un roc de docteurs.
  • Que tu sois la gloire d'Emain. Que tu sois plus haut que tous.


Dixit Néde :

  • Que tu sois toi-même sous le même titre, un arbre à une seule souche. Il est en même temps un mâle sans destruction,
  • un panier de poésie.
  • L'expression d'une nouvelle sagesse. Il est l'intelligence des gens parfaits, le père avec le fils, le fils avec le père.
  • Les trois pères dont il est question en lisant : le père de l'âge, le père corporel, le père d'enseignement.
  • Mon père par la chair ne reste pas.
  • Mon tuteur d'enseignement n'est pas en présence.
  • C'est toi qui es mon père selon l'âge.
  • C'est toi que je reconnais comme tel. Que tu sois toi-même.


FINIT. AMEN.


1 Ollam, superlatif de oll, "puissant", désigne le plus haut grade de la hiérarchie des filid (poètes), héritiers des druides d'Irlande. Les "Îles au Nord du Monde" sont traditionnellement la source de tout savoir sacré, et sont souvent assimilées à L'Ecosse. Eochu Echbel "Eochu (ou Eochaid) Bouche-de-Cheval".
2 La robe est le signe extérieur du grade d'ollam. Ferchertne, connu des textes médiévaux, est le file (poète, pluriel : filid) du roi d'Ulster
3 La branche de métal, or, argent ou bronze, est l'insigne de la dignité des filid. Elle est peut-être différente de la "baguette" magique qui servait aux incantations et aux opérations de magie, qui était en sorbier ou en coudrier. L'épée du file est un substitut de la baguette.
4 Emain Macha (auj. Navan Fort) est la capitale du royaume d'Ulster. Bricriu Nemthenga ("à la langue empoisonnée") est le fauteur de trouble de tous les récits mythologiques, sorte de Loki irlandais.
5 Les "gens de la déesse Dana" (Tuatha Dé Danann) sont les dieux de la mythologie irlandaise pré-chrétienne. Medb et Ailill sont le couple royal mythique de Connaught.
6 Le disciple s'asseyait au pied du maître, comme en Inde (d'où le nom "upanishad").
7 Le maître réunit en lui de nombreuses sagesses.
8 Le mot trogan désigne aussi la terre pourvoyeuse de fruit, et par extension l'automne.
9 Le noisetier est l'arbre de la science. Il y a neuf noisetiers auprès de la source de la Segais, si pure qu'elle brûle comme du feu.
10 "C'est-à-dire d'après les colonnes des six âges de l'homme" (glose du Book of Leinster)
11 "C'est-à-dire la Boyne, car elle est en Leinster et elle a absorbé la rivière de connaissance." (glose du Book of Leinster)
12 La femme de Nechtan est Boand, qui a donné son nom à la rivière Boyne, après avoir bu à la source de connaissance.
13 Il s'agit de Nuada Necht, autre nom de Nechtan.
14 "C'est-à-dire qu'il sait où est la lune pendant le jour où est le soleil pendant la nuit…" (glose du Book of Leinster)
15 "C'est-à-dire le long du cordon ombilical qui part de moi dans l'inspiration poétique du jeune homme…" (glose du Book of Leinster). Semble faire référence à une conception proche du yoga tantrique.
16 Petit en âge, grand en connaissance, dur dans la contrainte.
17 Source riche en connaissance et en poésie. Le poète est souvent comparé à une source d'où proviennent la science et l'art.
18 "C'est-à-dire que mon art est un glaive de poésie" (glosse du Book of Leinster)
19 "Je suis exact en expliquant un poème" (glose du Book of Leinster).
20 Notion de concentration de la science.
21 Notion de préservation de l'art.
22 "Cette mer de science est abondante" (glose du Book of Leinster). Les mots sciences, poésie et art n'ont pas le sens profane moderne. Ils réfèrent à la Connaissance sacrée.
23 La satire est l'arme des druides et des poètes : elle fait rougir et même mourir les rois.
24 Par la louange, autre arme du poète.
25 "C'est-à-dire enseignant la poésie" (glose du Book of Leinster).
26 "C'est-à-dire l'art de chaque homme pour apprendre à cause de l'enseignement de chacun" (glose du Book of Leinster). Un mode d'enseignement pour chacun ?
27 "C'est-à-dire subtil, qui coupe la parole jusqu'à ce qu'il n'y ait pas de réprobation contre elle" (glose du Book of Leinster).
28 Allusion à l'intimité du poète et du roi dans la société traditionnelle celtique.
29 Les poèmes du sage son sa richesse. Le poète était payé en bétail.
30 "C'est-à-dire l'enseignement aux apprentis-poètes" (glose du Book of Leinster)
31 La recherche d'hospitalité et de récompenses royales.
32 Par le jugement : les druides sont la source du droit.
33 Par la connaissance des prérogatives et des rangs de chacun.
34 Le poète accompagne le roi dans ses expéditions.
35 Nouvelle allusion à l'intimité avec le roi.
36 Mot inconnu/ Glose du Book of Leinster : "C'est-à-dire la parole de l'inspiration qui marche après la Boyne. Je consomme les noix que la Boyne apporte, c'est-à-dire les noix de l'inspiration".
37 Incantation druidique : "Briamon Smethrach : il frotte le lobe de l'oreille de l'homme entre ses deux doigts, et l'homme sur qui est faite cette opération meurt. C'est naturel : de même que l'oreille se trouve à l'extérieur de l'homme, l'homme sur qui cette opération est faite se trouve placé hors de l'humanité." (Glossaire de Cormac)
38 Athirne, druide mythique d'Ulster renommé pour ses exigences. Son "bouclier" est constitué de la satire, de la malédiction et de l'exigence.
39 Récits guerriers.
40 "Je loue la poésie suivant le chemin de la loi." (glose du Book of Leinster).
41 "C'est-à-dire que ce que j'ai trouvé est aussi brillant qu'une perle". (glose du Book of Leinster).
42 Allusions à la maîtrise du temps, aux relations avec l'Autre Monde a-temporel.
43 La "tête" de la chandelle est la flamme.
44 Allusion à la capacité de faire la paix entre deux armées, même sur le champ de bataille ?
45 Tethra est un roi des Fomoire, sortes de crétures démoniaques et chaotiques de la mythologie irlandaise.
46 mot inconnu.
47 "Dans la noblesse du grade" (glose du Book of Leinster)
48 Le porc, ou le sanglier, est le symbole du druide.
49 La "plaine" est peut-être la planche de la harpe du poète.
50 "Sur de bons fromages, à savoir des glands et des fruits ; ou bien les sept mètres poétiques". La poésie est comparée à une nourriture spirituelle.
51 La rosée est également une source d'inspiration.
52 "C'est Lug qui a inventé une assemblée, une balle de fronde et un aiguillon pour chevaux" (glose du Book of Leinster). Lug est le dieu principal des Celtes, qui réunit à lui tout seul toutes les qualités des autres dieux.
53 La poésie n'a pas besoin de "fond" pour exister par elle-même, et d'autre part, étant elle-même un fond, elle n'a besoin que de sa propre existence pour se justifier (Guyonvarc'h).
54 "C'est-à-dire qu'il ne savait pas quand il mourrait, quelle mort l'emporterait, et sur quelle motte de terre il mourrait" (glose du Book of Leinster). Le Fils (du) Jeune est le Mac Oc, fils du Dagda (Dieu Bon) et de la déesse Boand.
55 "Les trois dieux de Dana, les trois fils de Brigit la poétesse, à savoir Brian, Iuchar et Uar, les trois fils de Bres, fils d'Eladan et Brigit la poétesse, fille du grand Dagda, roi d'Irlande, était leur mère ; et l'un de ses noms (au Dagda) était Ruad Rofessa ("Rouge de la Science Parfaite") et Cermait, Dermait et Aed étaient les noms de ses fils." (glose du Book of Leinster). Il ne faut pas chercher à étblir une généalogie claire et rationnelle des dieux de l'Irlande.
56 "Car il n'y a pas de naissance pour Adam, si ce n'est sa formation à partir des quatre éléments." (glose du Book of Leinster). La référence à Adam est chrétienne est tardive, mais elle recouvre la notion celtique de l'Homme primordial.
57 "C'est-à-dire la terre" (glose du Book of Leinster).
58 "C'est-à-dire dans la passion du Christ" (glose du Book of Leinster). Là encore, la référence chrétienne recouvre la notion celtique. Sans doute s'agit-il de l'initiaiton druidique.
59 "C'est-à-dire l'Irlande" (glose du Book of Leinster).
60 "La roue ramante se mettra en mouvement si bien qu'elle sera en contact avec Cnamchaill" (glose de Rawlinson). La roue ramante (roth ramhach) est la roue cosmique. "La fille de Mog Ruith (druide mythique de Munster dont le nom signifie "Serviteur de la Roue") était Tlachtga. Les trois fils de Simon la violèrent (…) et elle leur enfanta trois fils. Elle apporta avec elle le pilier de Cnamchaill, c'est-à-dire les restes de la roue et ce qui la brisa : aveugle sera quiconque la regardera, sourd quiconque l'entendra, mort quiconque sur qui elle tombera." (Rawlinson B 502).
61 "bègues", c'est-à-dire des étrangers qui ne parlent pas irlandais.
62 Terre de Promesse : l'Autre Monde celtique.