mardi 4 mars 2014

La Royauté sacrée chez les Celtes - 1. Mediolanum Biturigum



Les Celtes semblent avoir conservé une conception traditionnelle de la royauté. Le roi n'y est pas seulement le chef temporel de la communauté, mais occupe une place spirituelle et même métaphysique particulière. La société humaine devant être à l'image de la société divine, le roi est la projection sur terre de la royauté sacrée idéale.
Ces conceptions métaphysiques s'expriment par des mythes qui racontent la fonction royale. Elles sont en relation avec une géographie sacrée, qui les incarne dans le paysage.



I. Mediolanum Biturigum

Deux éléments de vocabulaire religieux et de géographie sacrée
Christian-J. Guyonvarc'h
in Ogam XIII, n° 73, février-mars 1961

résumé


1. Le nom des Bituriges

Tout d'abord, le Pr. Guyonvarc'h analyse le nom de la tribu gauloise des Bituriges (actuel Berry, capitale Bourges). Si la deuxième partie de ce nom ne fait pas mystère (il s'agit du suffixe répandu -rix, pluriel -riges, "rois"), en revanche le premier élément a donné lieu à quelques débats que l'auteur s'attache à résoudre. En effet, certains interprètent le mot *bitu- par "éternel", et d'autre par "monde".
Après avoir énuméré les noms contenant le radical BITU dans l'épigraphie continentale, Ch.-J. Guyonvarc'h constate qu'en celtique insulaire (irlandais), la forme bith exprime aussi bien la notion de monde (for bith ché "dans ce monde", tre bithu sir "à travers le grand monde") que celle d'âge, d'éternité, de siècle (isna bithu "pour toujours", tria bithu na m-betha "à travers les âges des âges", c'est-à-dire "pour les siècles des siècles"). Mais on trouve également une acception adjectivale signifiant "éternel" dans les expressions bith-anim "âme éternelle", bith aittreb "demeure éternelle", bithmaith "toujours bonne" (épithète de Sainte-Brigitte). On en conclut que les deux mots n'en font qu'un seul, issu d'un thème indo-européen *g(u)i qui désigne la vie (irl bethu, gall bywyd, du vieux celtique *biueto-, indo-européen *g(u)ieto-)1.
Le nom des Bituriges peut donc être compris comme "toujours rois" si l'élément *bitu- est considéré comme un adverbe, et "rois du monde" s'il s'agit d'une composition de substantifs. C'est pourquoi le celtisant écrit : "Dans le principe métaphysique absolu (...), politiquement et religieusement, tout le peuple biturige est 'roi du monde' par rapport au reste du monde profane et surtout au reste de la Gaule. C'est en vertu de cette qualité intrinsèque que, insensible aux fluctuations de l'histoire humaine, sa royauté est universelle et perpétuelle. On pourrait aussi traduire par 'tout à fait rois, très royaux', (en ajoutant) : la royauté suprême perdure jusqu'à la fin des temps. Le traitement réservé à la Tara des rois dans la légende royale irlandaise en fournirait, si besoin était, un illustre exemple !".


2. Mediolanum

Le toponyme Mediolanum est un des plus répandus de notre géographie, mais il a très peu été étudié. Le problème est le suivant : Medio- signifie clairement "milieu". L'Irlande possède justement une province centrale nommée Mide "milieu" (aujourd'hui Meath). Le second élément -lanum peut correspondre au latin planus (les langues celtiques ayant pour caractéristique d'abandonner le -p- initial). Dans ce cas, Mediolanum signifierait simplement "plaine du milieu", et désignerait des sortes de sanctuaires fédéraux, dans une conception analogue au Midgard scandinave. Cependant le seul adjectif celtique dont on peut rapprocher *lanon est *lanos, qui ne signifie pas "plat", mais "plein". D'autre part, les Mediolanum recensés ne sont pas tous centraux, loin de là, et ne sont pas forcément situés en plaine. En outre, le Mediolanum des Bituriges ne présente aucune trace archéologique d'un grand sanctuaire national.
Il faut donc reprendre l'étude exhaustive de tous les Mediolanum. L'auteur dresse une liste des 58 toponymes de France et d'Europe occidentale qui peuvent avoir été des Mediolanum, de Milan (Italie) jusqu'à Metelen (Westphalie), en passant par Châteaumeillant (Mediolanum des Bituriges, Cher), Malain (Côte d'Or), Molain (Jura) et Molliens-Vidame (Somme).
On constate alors que :
" 1°) Un petit groupe de toponymes s'applique à des villes ou à des localités ayant eu une importance relativement grande dans l'antiquité celtique.
2°) Un autre groupe désigne des hauteurs. Il est bien évident, par exemple, que Châteaumeillant, oppidum des Bituriges, n'est pas situé dans une plaine.
3°) La plupart des Mediolanum sont des lieux-dits, des écarts, des hameaux ou des villages, en tout cas semble-t-il des endroits éloignés de tout établissement humain de quelque envergure, à notre époque ou à l'époque antique. Des fouilles systématiques seraient nécessaires dans ces endroits."

Tout ceci pose des questions qui ne peuvent être résolues par le linguiste (pourquoi n'y a-t-il pas de Mediolanum en Europe centrale ? Le terme serait-il "tardif, limité à un type restreint ou bien défini d'oppidum ou d'habitat, postérieurement au déplacement du "centre" celtique d'Europe centrale et danubienne vers l'ouest ?"). Se limitant à la question du sens de Mediolanum, Ch.-J. Guyonvarc'h l'attribue sans hésiter au vocabulaire religieux du celtique continental, et le rapproche du Medionemeton évoqué à propos du locus consecratus de César : "Medionemeton, Mediolanum, Vindolana et toutes les formations de ce genre ont désigné sans nul doute à l'origine un enclos ou ene clairière, au moins un espace libre symbolisant le centre religieux et culturel de la peuplade, de la tribu ou de la cité". De plus, le second élément du nom, -lanum, peut être interprété comme une forme de lanos, "plein", avec le sens de "parfait, complet". Le toponyme "indique selon toute apparence un endroit où pouvait se réaliser une espèce de plénitude religieuse, un "centre de perfection".
"Le nom de Mediolanum, porté par un important oppidum des Bituriges,, serait ainsi caractéristique de la vocation particulière de ce peuple en vertu d'une position géographique centrale, doublement idéale et réelle".




1 Je rappelle que l'astérisque désigne un mot non attesté mais reconstitué par la linguistique.



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