Le druidisme ancien
Les druides étaient, dans l'ancienne société celtique, les
détenteurs de l'autorité spirituelle. Dans le cadre de la
trifonctionnalité décrite par Georges Dumézil, ils sont les
équivalents des brahmanes de l'Inde. A ce titre, ils pratiquent et
dirigent le culte, c'est-à-dire le sacrifice. Ils sont les
intermédiaires entre les hommes et les dieux, dont ils interprètent
la volonté. Ce sont eux, donc, qui disent le droit – à charge
pour la deuxième fonction, guerrière, de le faire appliquer. Ainsi
les druides sont prêtres, mais aussi juges. Ce sont
eux qui constituent l'unité du monde celtique, par-delà les guerres
entre peuples et clans. Ils font donc également fonction
d'ambassadeurs, à l'image du druide Diviciacus, qui alla à
Rome demander de l'aide contre les Séquanes en faveur des Éduens.
Cette unité, ils la maintiennent aussi par la transmission de la
culture nationale : ils sont conteurs et historiens,
capables de réciter de longs poèmes et récits traditionnels, et la
généalogie des rois, remontant aux anciens dieux. Mais le druide
détient également le savoir en matière de médecine :
médecine par les herbes, médecine sanglante, et médecine
incantatoire – correspondant, là aussi, aux trois fonctions
duméziliennes. Les textes irlandais montrent aussi des druides
architectes, à l'instar du dieu-druide Dagda. Évidemment, ce
sont eux aussi qui, en Irlande, connaissent l'écriture
magique des ogams, inventée par le dieu Ogma. En tant que détenteur
de l'autorité spirituelle, le druide est associé au roi, issu de la
classe guerrière et qui, lui, détient le pouvoir temporel. A eux
deux, ils forment la Souveraineté, clé de voûte de la société
celtique et même, disons-le, de la pensée celtique.
On comprend pourquoi, avec la disparition, progressive ou soudaine
selon les lieux, de la société traditionnelle celtique, la fonction
druidique n'a pas pu se maintenir dans sa plénitude. En Italie du
nord puis en Gaule et en Hispanie, l'avancée romaine s'est
accompagnée, par la force ou non, d'une mutation des royaumes en
cités à l'image de l'Urbs, où le pouvoir est exercé par la
collégialité aristocratique calquée sur le Sénat romain. C'est le
cas, justement, des Éduens alliés de Rome contre les Arvernes de
Vercingétorix, représentant probablement la faction
traditionaliste. Rome interdira les druides, sous Claude et Tibère,
pour des raisons plus politiques que religieuses. La synthèse
gallo-romaine conservera quelques éléments celtiques : les
dieux locaux seront assimilés aux divinités romaines, les
sanctuaires deviendront des fana (pl. de fanum). Quand
arrivera le christianisme, on ne parlera déjà plus de Lug, Taranis
ou Belisama, mais de Mercure, Jupiter et Minerve. Dans le petit
peuple des campagnes, on continuera à se transmettre de vieux contes
et des recettes de médecine, mais aucune classe druidique ne
perdurera. Le christianisme, religion d’État, s'imposera à une
religion déjà fortement romanisée. Ceci est valable pour la Gaule,
mais également pour la (Grande-)Bretagne. Les envahisseurs
anglo-saxons, aux IV° et V° siècles, repousseront des Bretons
chrétiens – qui se considéraient d'ailleurs comme romains.
Pour toutes ces régions, la romanisation, puis la christianisation
et les invasions germaniques, interdisent totalement d'imaginer la
survivance, même clandestine, d'une classe druidique organisée,
transmettant rites, mythes et savoirs.
En Irlande en revanche, pas de romanisation avant l'arrivée de saint
Patrick, vers 450. La classe druidique, déjà sans doute affaiblie
et divisée, se convertit rapidement à la nouvelle religion, et en
constitue même les cadres, à qui elle transmet son mode de
fonctionnement – abbés-évêques proches du pouvoir royal, par
exemple. Mais, fait important, Patrick et ses successeurs autorisent
une branche de la classe druidique, les filid (pl. de file),
à poursuivre ses activités, à savoir la transmission de la
tradition « nationale », les mythes d'origine, le droit
traditionnel et le patrimoine poétique et historique. Cependant, les
filid ne sont plus des druides, et le mot drui en vient
même, au moyen-âge, à désigner les sorciers de campagne, incultes
et malfaisants. D'autre part, l'écriture latine est utilisée dans
les monastères d'Irlande pour fixer la tradition, au prix d'un
rattachement quelque peu artificiel à la tradition judéo-chrétienne.
Les Gaëls sont désormais, eux aussi, les descendants des bâtisseurs
de la Tour de Babel, et de ceux qui ont fui l'oppression pharaonique,
tandis que les premiers occupants de l'île ont échappé au Déluge,
à l'instar de Noé.
Ainsi, il n'y a eu aucune survivance sociologique du druidisme après
la christianisation, que ce soit sur le continent, en Grande-Bretagne
ou en Irlande. Toutes les organisations néo-druidiques
contemporaines qui revendiqueraient une filiation ininterrompue
depuis l'antiquité, mentent ou se mentent à elles-mêmes, y compris
lorsqu'elles excipent d'un hypothétique « héritage
familial ». Selon les mots de Robert Amadou à propos des
« néo-Coens » (article « Martinisme »,
1979-1993, Institut Eleazar), « l'absence de preuves est totale
et aux prétendants appartient la charge de prouver ».
(à suivre...)
Merci ! J'ai hâte de lire la suite ! ;-)
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