mardi 18 mars 2014

Nom de Dieu !


Les hommes, le plus souvent, font Dieu à leur image, et succombent ainsi à l'idolâtrie caractéristique du monde manifesté.

Pour éviter ce piège, la tradition hébraïque interdit de prononcer le tétragramme YHVH, et le remplace par un « nom substitué » (Hachem « le Nom », ou Shaddaï « Tout-Puissant » ou Adonaï « Seigneur », etc.). Seul le Grand-Prêtre du Temple de Salomon à Jérusalem pouvait le prononcer, une fois l'an, à l'abri du voile du Saint des Saints. Lorsque Moïse rencontre Dieu sur le Sinaï et lui demande son nom, Il répond : Ehyeh Acher Ehyeh (Hébreu: אהיה אשר אהיה) qu'on traduit (mal) généralement par « Je suis qui Je suis », « Je suis celui qui est », ou « Je serai qui je serai ».

Dans l’Évangile, Jésus nous dit « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie : nul ne va au Père que par moi » (Jean 14,6) et aussi : « Nul ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler ». Ce n'est que par le Verbe, Christ, qu'on accède au mystère de l'Être dont on ne peut rien dire, ténébreuse lumière. Maître Eckhart pose la différence entre Dieu (Gott), le Dieu trinitaire objet de dévotion, et la Déité (Gottheit), essence divine inaccessible, « fond sans fond ».

« Il est quelque chose au-dessus de l’être créé de l’âme, que ne touche rien de créé, qui est néant, même l’ange qui a un être pur, qui est pur et immense, ne le touche pas, cela n’a rien de commun avec quoi que ce soit. Bien des clercs fameux ont trébuché sur ce point. C’est une chose étrangère, c’est un désert, c’est innomé plutôt que cela n’a un nom, c’est plus ignoré que connu » (Maître Eckhart)

En islam, Dieu ne peut être représenté par une quelconque image tirée du monde créé, et son nom même en arabe (Allah) n'est que l'un des 99 Noms divins qui sont ses attributs : Ar-Rahman « le Miséricordieux », al-Haqq « la Vérité », al-Wahid « l'Unique », etc... En réalité, son vrai nom est un secret, caché derrière ces attributs, et que le parfait croyant doit chercher : « J'étais un trésor caché, j'ai aimé être connu, alors j'ai créé les créatures », dit un hadith qudsi, où l'on reconnaît le ternaire martinésien « pensée, volonté, action ». Là aussi, le visage que Dieu montre aux hommes est son Verbe : c'est le Coran.

Qu'en est-il du bouddhisme, où la notion de Dieu créateur n'existe pas ? En effet, lorsqu'on interrogeait le Bouddha Sakyamuni sur les origines du monde, il gardait le silence, le « Noble Silence ». Ce n'est pas qu'il se désintéressât de la question, mais y répondre risquait fort de conduire à une incompréhension plus grande encore, et à l'instrumentalisation de la réponse. Le bouddhisme mahayâna, plus tard, insistera sur la notion de shunyata « vacuité-plénitude » et, finalement, interdépendance et unité de l'être. La vraie nature des choses est shunyata, et chaque être est en réalité cette vacuité-plénitude, réalisée par le Bouddha sous l'arbre de l’Éveil. Chaque être recèle en lui la « graine d'êtreté » qui est l'essence du monde. Ainsi, si le bouddhisme semble athée, c'est qu'il ne veut pas même évoquer le Divin, de peur qu'immédiatement cette notion soit détournée du but (pécher, c'est manquer la cible). Une interprétation bouddhiste de la shahada islamique pourrait être : « il n'y a que la vacuité-plénitude qui soit ».






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