Le
christianisme véritable est l'essence de la spiritualité, en ce
qu'il est rencontre réelle entre l'être fini et limité que nous
sommes, et Celui qui est le visage de Dieu pour l'homme : le
Christ. La vie et l'enseignement de Jésus-Christ, homme et Dieu,
sont la Voie vers notre ultime destin, qui est de retrouver notre
vraie patrie et notre nature originelle.
Très
tôt, le message du Christ, la Bonne Nouvelle, propagé parmi les
nations (Mt 28,19), s'est teinté de l'âme des peuples où il se répandait : Juifs, Grecs, Égyptiens, Syriens, puis Romains, Galates, Perses,
Gaulois, Germains, Slaves, plus récemment Africains, Chinois,
Amérindiens... L'histoire du christianisme est faite de ces
diversités centrifuges et de la tendance inverse à l'unification et
à la centralisation.
Dans
le cœur géographique de la Chrétienté – la péninsule
européenne et les rives de la Méditerranée – quelques grands
courants se sont formés à travers les siècles, adoptant les
caractères des différentes civilisations correspondantes.
A
l'est, le judéo-christianisme est resté fortement teinté de
l'esprit sémitique : prophétisme, attente messianique,
pratiques rituelles et alimentaires... Rapidement minoritaires, ses
différents rameaux – les Nazoréens, vite fondus dans la Grande
Église, les Ebionites et
Elkasaïtes – subsistèrent jusqu'au VIII° siècle et
influencèrent notablement l'islam naissant, avant de disparaître.
Plus
à l'est encore, les églises de l'empire perse sassanide, coupées
politiquement de leurs sœurs gréco-romaines, se coloreront de
mazdéisme et adopteront la vision duophysite du nestorianisme.
L'idéologie mazdéenne, volontiers dualiste, et ce courant chrétien,
influenceront tous deux la religion manichéenne aux III°-IV°
siècles.
Alexandrie
d’Égypte et Antioche, en Syrie, étaient des carrefours
cosmopolites où se croisaient de multiples influences culturelles.
Les communautés juives y étaient nombreuses, souvent fortement
hellénisées, mais on y croisait aussi de nombreux groupes aux
idéologies diverses. À
Alexandrie, la culture égyptienne finissante hellénisée donna
naissance à l'hermétisme, tandis que, dans ces deux villes,
prospéraient des communautés gnostiques aux croyances et aux
pratiques variées.
Dans
le monde grec, le christianisme se confronta rapidement à la
tradition philosophique, qui jouissait d'une forte aura. Clément
d'Alexandrie puis Origène (précédés dans le cadre du judaïsme
par Philon) adaptèrent la pensée platonicienne, puis les Pères de
l’Église, notamment les Cappadociens (Basile de Césarée,
Grégoire de Naziance, Grégoire de Nysse et surtout Jean
Chrysostome). La réflexion sur le Logos platonicien donna naissance
à une théologie qui imprègne encore aujourd'hui toute l'église
orthodoxe.
L'ouest
de l'empire, sous domination romaine, adopta la conception latine de
la religion : toute faite de règles et de normes qui doivent
être scrupuleusement respectées, hiérarchiquement ordonnée selon
les normes de l'ancienne société romaine, l'église latine héritera
tout autant de la religio romana, très politique, que du
message christique, et son chef deviendra l'héritier du Pontifex
maximus antique. C'est dans l'église romaine que la fusion (la
confusion) entre religion et idéologie d’État sera la plus
profonde, jusqu'à aboutir à la création, au XIII° siècle, de la
première police de la pensée : la « Sainte »
Inquisition.
Cette
version romaine du christianisme s'imposera bien entendu dans toute
la moitié occidentale de l'empire, mais avec un succès plus ou
moins grand selon les provinces. La Gaule, la Rhénanie, la
Grande-Bretagne, puis la Germanie, seront elles aussi imprégnées de
la mentalité « locale », à divers degrés. Il y aura
toujours « résistance » à la romanisation, que ce soit
sous la forme gallicane (Gaule) ou, protestante (Germanie,
Grande-Bretagne).
Dans
la réduit celtique jamais romanisé (Irlande et Écosse gaéliques),
l'église chrétienne est fortement teintée de celtisme. Saint
Patrick permet aux filid, les poètes issus de la classe
druidique, de transmettre la tradition nationale. L'organisation de
l'église est calquée sur celle des tribus et les évêques sont
avant tout abbés. La celtisation du christianisme culmine avec
l'ordre des Culdees (Serviteurs de Dieu). Cette église celtique ne
sera mise au pas romain qu'au XII° siècle, Bernard de Clairvaux n'y
étant pas pour rien.
Ainsi,
l'orthodoxie est imprégnée de philosophie théologique grecque ;
le catholicisme romain conserve le juridisme typiquement latin ;
la réforme protestante et ses multiples communautés expriment
l'amour germanique des libertés. Qu'en est-il alors de l'âme
celte ?
Il
me semble que l'âme celte partage avec l'âme germanique l'amour des
libertés, mais qu'elle se caractérise en outre par une avide quête
intérieure de l'Autre Monde, une quête mouvante et peu figée par
les dogmes. Cette tendance s'exprime, dans le christianisme des pays
anciennement celtiques, à travers deux caractéristiques majeures :
d'une part, une forte aspiration à l'ascèse personnelle, d'où un
attrait pour la mystique et un succès incomparable du monachisme.
D'autre part, un goût certain pour le mythe, récit du monde
imaginal où se déroule la « hiéro-histoire » (H.
Corbin), d'où la synthèse celto-chrétienne des légendes
arthuriennes et du Graal, la christianisation précoce des légendes
et fêtes locales et des contes populaires.
Historiquement,
les pays ex-celtiques (îles britanniques, Gaule, Germanie rhénane
et méridionale, Helvétie, nord de l'Italie) ont été le cadre
privilégié des plus grandes dissidences chrétiennes (je préfère
ce terme à celui d'hérésie), au moyen-âge et ensuite. Vaudois,
Cathares, mystiques rhénans, béguines, puis la Réforme, Paracelse,
les Rose-Croix, l'illuminisme, le martinisme : tous ces
mouvements ont éclos ou ont fleuri sur le terreau anciennement
celtique, parfois en conflit, parfois en connexion avec le
christianisme « officiel ».
C'est
cette version-là du christianisme qui me convient, dans le respect
et la reconnaissance des autres formes, bien sûr, puisque l'Esprit
souffle où il veut.
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