Histoire
de Valentin et Orson,
très
nobles et très vaillants chevaliers,
fils
de l'empereur de Grèce et neveux du très vaillant et très chrétien
Pépin, roi de France
Valentin et Orson, d'après Brueghel l'Ancien |
C'est
l'histoire de deux frères jumeaux, abandonnés dans les bois en bas
âge. Valentin est élevé comme un chevalier à la cour de Pépin le
Bossu, alors qu'Orson grandit dans la tanière d'un ours et devient
un homme sauvage des bois, jusqu'à être retrouvé par Valentin,
dont il devient le serviteur et compagnon. Les deux hommes finissent
par sauver leur mère Bellisant, sœur de Pépin et épouse de
l'empereur de la France, par lequel elle a été injustement
répudiée, de la puissance d'un géant nommé Ferragu de Portingal
(1). Il existe des versions anciennes de ce conte, qui semblent
basées sur une version originale française perdue depuis, mais
traduite en prose française, en anglais, allemand, islandais,
néerlandais et italien. Dans les versions précédentes, Orson est
décrit comme sans nom, à savoir le « sans nom ». Le
noyau de l'histoire réside dans l'éducation d'Orson et sa
sauvagerie, il est évidemment un conte folklorique dont la connexion
avec le cycle carolingien est purement artificielle.
Cette histoire est à
rapprocher du conte « Jean de l'Ours », conte-type n°
301B dans la classification d'Aarne-Thompson (2), dont je vous livre
un résumé :
Une femme est enlevée par un
ours qui l'emmène dans sa tanière, une grotte dans la montagne.
Quelque temps après, naît un garçon couvert de poils, et qui a des
dents en naissant. Il grandit dans la grotte dont l'entrée est
obstruée par une grosse pierre que seul l'ours peut bouger. A trois
ans, Jean arrive à la faire bouger d'un centimètre. A cinq ans, de
10 cm. A sept ans, assez pour qu'il s'enfuie avec sa mère.
Ils
vont s'installer au village de sa mère. A l'école, Jean est trop
fort et turbulent : il bat ses camarades, et même son maître. Il
est pris en apprentissage chez un forgeron.
Au
bout d'un long temps, il demande au forgeron du fer pour se fabriquer
une canne. Le forgeron accepte, Jean prend tout le fer de la forge et
se fait une canne géante.
Puis
il quitte la forge et le village et s'en va sur les routes. Il
rencontre un homme très fort comme lui, qui abat des arbres pour en
faire des fagots. Il s'appelle Tord-Chênes, et ils font route
ensemble. Puis ils rencontrent un autre homme très fort,
Pousse-Montagne.
Les
trois compagnons arrivent à un château qui semble abandonné. Tout
est prêt pour eux : nourritures, chambres, etc. Ils mangent et se
couchent. Le lendemain matin, ils décident d'aller à la chasse.
L'un d'eux, Pousse-Montagne, reste au château pour le garder. S'il y
a problème, il sonnera la cloche. Les autres partent. Subitement, un
petit homme arrive par la cheminée. Il se sert à manger, salit tout
partout, est très malpoli. Pousse-Montagne veut le mettre dehors,
mais c'est le petit homme qui lui met une raclée. Il n'a pas le
temps de sonner la cloche. Quand les autres reviennent, il n'ose dire
ce qui lui est arrivé. Il raconte qu'il s'est blessé en allant à
la cave.
Le
second jour, c'est Tord-Chênes qui reste. Même mésaventure. Au
retour des autres, il raconte qu'il s'est blessé en allant au puits.
Le
troisième jour, c'est Jean de l'Ours qui reste. A l'arrivée du
petit homme, Jean de l'Ours ne le laisse pas faire et lui donne un
grand coup de sa canne. Le petit homme, blessé, s'enfuit et saute
dans le puits. Jean de l'Ours sonne la cloche, les autres reviennent.
Les
trois héros décident de descendre au fond du puits avec le seau.
Les deux premiers descendent, mais se font remonter avant d'avoir
atteint le fond. Jean de l'Ours descend à son tour. Arrivé presque
au fond, il saute, la corde étant trop courte. Il arrive dans un
monde étrange. Il rencontre une vieille femme qui le renseigne : il
y a trois châteaux où se trouvent les trois princesses. La vieille
lui donne un onguent qui guérit les blessures. Après des combats
contre des monstres en nombre croissant (1, 3, 9), il découvre
successivement trois châteaux de cuivre, d'argent et d'or, où il
délivre trois princesses de beauté croissante. Il reçoit de
chacune une pomme de cuivre, d'argent, d'or. Il retourne en bas du
puits. Les autres remontent les princesses, mais le laissent en bas.
La vieille lui conseille de prendre de la viande avec lui et d'aller
voir l'aigle. Celui-ci le remonte, mais de temps en temps durant le
vol, il doit lui donner à manger. Quand il n'a plus de viande,
l'aigle lui prend de sa cuisse. Finalement ils arrivent dans le monde
d'en haut. Le héros se présente au palais du roi, il se fait
reconnaître grâce aux pommes, il épouse la plus belle princesse,
et les autres sont à ses compagnons.
Les contes
populaires et, parmi eux, ceux qu'on appelle « contes
merveilleux », ne sont pas les inventions arbitraires d'auteurs
imaginatifs. Leurs motifs les rapprochent beaucoup des thèmes
mythologiques et symboliques, et on trouve aisément des motifs
communs à des contes récoltés dans des aires géographiques et
culturelles très éloignées, de l'Inde à l'Islande, des Amériques
à la Chine.
Ces contes et leurs
motifs symboliques devraient faire l'objet d'études sérieuses et de
méditations profondes, dans un esprit traditionnel, sans l'habituel
mépris des « autorités » pour ces productions
merveilleuses. Ils relèvent typiquement de ce que Corbin appelait le
« monde imaginal », monde intermédiaire entre l'Origine
divine et notre monde « ordinaire » des sens et de la
matière. Ce n'est pas pour rien que, dans le monde celtique – dont
nous sommes aussi les héritiers – l'art du poète, transmetteur
des récits traditionnels, était l'un des plus nobles qui soient, et
relevait d'une des branches de la classe druidique, celle des bardes
ou des filid.
Voila qui nous
éloigne des contingences de la modernité...
Notes :
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