La
fin de la tradition celtique
Après
ce rapide survol des éléments constitutifs de la Tradition
celtique, il est intéressant de se demander ce qu’elle est
devenue, et quelles traces elle a laissées dans notre civilisation.
La
mise en place de l’administration romaine en Gaule après Alésia a
détruit la société traditionnelle celtique sans laquelle le druide
n'a plus de place. La société romaine privilégie le pouvoir
temporel (les consuls
patriciens)
sur l’autorité spirituelle. La classe sacerdotale druidique n'a
pas pu survivre en tant que telle à l'invasion romaine. Certains
druides ont pu se réfugier dans les zones les plus désertes de la
Gaule, et devenir, après quelques générations, des sortes de
sorciers locaux dont le savoir a peu à peu dégénéré en recettes
et en sorcellerie. D'autres ont certainement rejoint le monde
celtique encore indépendant, celui des îles britanniques.
D’ailleurs, les empereurs Claude et Tibère, au 1er
siècle, interdisent les druides. Les siècles de paganisme officiel
romain ont déjà beaucoup affaibli la tradition gauloise, et quand
le christianisme triomphera, le Diable s’appellera Mercure,
Jupiter,
Apollon,
Diane
ou Vénus,
mais jamais Taranis,
Lug,
Sucellos
ou Brigantia.
Les anciens dieux sont déjà oubliés, et le latin s’imposera
définitivement sur les restes de la langue gauloise. Les invasions
germaniques viendront encore recouvrir tout cela. Mais il
reste dans le folklore français des réminiscences qui remontent au
fonds populaire celtique, déformé, affaibli par une longue histoire
et un changement radical de langue et de mentalité. Les récits des
dieux ont parfois été attribués aux saints, les sources et les
pierres ont été consacrées, les fêtes ont été réinterprétées.
Mais est-ce le paganisme qui a été christianisé, ou est-ce le
christianisme qui a été paganisé ? Sans doute un peu des deux.
En
Grande-Bretagne, conquise elle aussi par les armées romaines, les
druides ont disparu sans postérité. Mais seule la christianisation
a été définitive. Les druides se sont effacés devant le clergé
chrétien, mais les bardes ont subsisté. Pendant tout le moyen âge,
des invasions anglo-saxonnes jusqu'à l'annexion anglaise, des cours
princières se sont maintenues en Cornouaille et surtout au Pays de
Galles, entretenant une poésie officielle dans une langue galloise
savante, et les anciens bardes ont pu, sans perdre leur nom, se
convertir et adopter l'usage de l'écriture. En Bretagne armoricaine,
« bretonnisée » vers le V° siècle la mythologie ne
survit plus que dans le folklore et les contes populaires.
En
Irlande, le christianisme a été introduit plus tardivement, vers le
milieu du V° siècle, dans un pays qui n’avait pas été romanisé.
Saint Patrick convertit d’abord le Haut-Roi d’Irlande et son
entourage. Quelques années plus tard, l'Irlande était chrétienne,
sans heurts et sans martyrs. Patrick a revu le droit traditionnel
pour l’adapter au nouveau dogme, mais a laissé subsister la classe
des filid,
des poètes issus de la classe druidique, en n’interdisant que ce
qui était trop contraire à la foi chrétienne. Les filid
ont ainsi transmis jusqu’à nous tout un savoir poétique et
symbolique, et tout le corpus mythologique irlandais.
Le
christianisme d’Irlande et du Pays de Galles comportera pendant
longtemps de nombreux traits celtiques, en particulier l’Ordre des
Culdées (« Serviteurs de Dieu »). L’Église romaine
mettra plusieurs siècles à le mettre au pas et à imposer son
autorité et ses usages.
Au
tournant des XI° et XII° siècles, l’Europe connaîtra un
engouement pour la « Matière de Bretagne ». Ces récits,
qui tournent autour du roi Arthur, de Merlin et de la Quête du
Graal, véhiculent de nombreux thèmes celtiques. Ils seront
rapidement
réinterprétés par les Cisterciens de Bernard de Clairvaux dans un
sens mystique très chrétien. Ils gardent une valeur spirituelle et
symbolique très forte, qui inspire encore romanciers et cinéastes.
Reste
le Néo-Druidisme.
En 1717, dans une taverne de Londres, était fondé l’Ordre des
Druides par John Toland, un Irlandais proche de la franc-maçonnerie
débutante. C’est d’ailleurs la même année que la Grande Loge
d’Angleterre avait été fondée, dans les mêmes milieux. De cet
Ordre des Druides proviennent toutes les organisations néo-druidiques
contemporaines, quand elles ne sont pas de génération spontanée.
En 1792, le néo-druide Iolo Morganwg fondait la Gorsedd bardique
galloise, d’où sont issus la plupart des groupes néo-druidiques
français.
Ces
organisations ne peuvent revendiquer aucune filiation directe avec le
druidisme antique. Une telle filiation druidique ne peut être
qu’idéale, comme celle qui rattache le Rite Écossais Rectifié à
l’Ordre du Temple.
La
doctrine des organisations néo-druidiques a d’ailleurs beaucoup
changé au cours des années, à mesure que les études celtiques et
les publications progressaient. On y trouve un peu de tout, du
sectarisme d’extrême-droite au prophétisme New Age féministe et
écologiste, mais aussi des chercheurs sincères et sérieux, parfois
proches de la franc-maçonnerie.
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