La voie spirituelle que je pratique est
le Rite Écossais Rectifié.
Or, cette voie est
chrétienne : « Oui, l'Ordre est chrétien
; il doit l'être, et il ne peut admettre dans son sein que des
chrétiens ou des hommes bien disposés à le devenir de bonne foi »
(Rituel de Maître X).
Comment
se définir par rapport au christianisme ? De quel christianisme
parle-t-on, et qu'est-ce que cela implique dans la vie du Maçon
rectifié ?
Au
sens sociologique
et culturel,
nous vivons dans un pays chrétien. La majorité des Français sont
baptisés, ont grandi dans une ambiance chrétienne, à divers degrés
cependant. Reconnaissons que nos grands-parents connaissaient
globalement bien mieux que nous l'Histoire sainte, les grands moments
et les personnages des Écritures, et les dogmes fondamentaux de
l'Église. La déchristianisation de la France, enclenchée pendant
la Révolution française, a beaucoup progressé dans les esprits, et
a laissé la place à une vague morale républicaine et
droits-de-l'hommiste, doublée d'une méfiance générale envers
toutes les religions. La plupart des « chrétiens »
sociologiques d'aujourd'hui ne connaissent pas le christianisme, ses
doctrines, son histoire. Est-ce à ces « chrétiens »-là
que s'adresse le Rite Écossais Rectifié ?
Ou
bien, faut-il être un chrétien de foi
et de croyance ?
Mais de quelle croyance ?
Les
dogmes catholiques, orthodoxes, protestants, mais aussi coptes
(monophysites), assyriens (nestoriens), ou encore ariens, vaudois ou
cathares, divergent grandement, notamment sur la christologie. Ces
dogmes sont le résultat d'une plus ou moins longue évolution, et de
fixations à certains moments. Dès l'époque du Christ, les opinions
divergeaient sur la nature du message et de la personne même de
Jésus. Il faut rappeler que ce n'est qu'à partir du 4ème siècle,
trois cents ans après sa mort, qu'une série de Concile a fixé –
et figé – les principaux éléments de la doctrine, cristallisant
ainsi la majorité des Chrétiens, tout en rejetant dans les marges
de l'hérésie ceux qui adoptaient un autre choix. Ainsi, au fur et à
mesure des Conciles, des Chrétiens sont déclarés non-chrétiens
par l'Église, qui se confond avec l'Empire romain. Certains de ces
courants existent encore aujourd'hui : les Nestoriens, écartés
au Concile d’Éphèse en 431, constituent les Églises assyrienne
et malabare orthodoxe ; les Monophysites, sont représentés par
les Églises copte, éthiopienne et arménienne. D'autres encore ont
disparu, parfois persécutés par l'Église officielle : Ariens,
Vaudois, Cathares. Pourtant, tous se réclamaient de Jésus-Christ.
Sont-ils moins chrétiens que les Orthodoxes et les Catholiques
romains ?
Il
me paraît donc évident que, dès le début, il y eut plusieurs
façons d'être chrétien, en terme de croyance.
Qu'en
est-il pour le Rite Écossais Rectifié ? Jusqu'au grade de
Maître Écossais de Saint-André inclus, en tout cas, aucun dogme
n'est imposé au Frère. Le nom même de Jésus-Christ n'est
mentionné dans les rituels qu'à la fin du 4ème grade.
Alors,
être chrétien dépend-il de la participation aux rites
et sacrements ?
Bien entendu, tout dépend de la confession chrétienne à laquelle
on se rattache.
Le
baptême,
lui-même, revêt des significations différentes selon les Églises.
Baptême des enfants le plus tôt possible pour certains, baptême
des adultes après un catéchuménat plus ou moins long pour
d'autres, le sens et le processus du baptême a beaucoup varié au
cours des siècles, et selon les communautés. Pour les Cathares
médiévaux – qui se nommaient eux-mêmes « bons chrétiens »
– le baptême d'eau n'était pas le plus important, ayant été
pratiqué avant la venue du Christ. Ce dernier aurait pratiqué,
selon eux, le baptême d'Esprit, ou de feu, par imposition des mains.
Il
en est de même de l'Eucharistie,
sacrement dont le sens et la pratique varient considérablement selon
les confessions : mémorial de la Cène, Pain de Vie, ou corps
réel du Christ ?
Le
Rite Écossais Rectifié exige-t-il de ses membres qu'ils fréquentent
un culte
quelconque, ou qu'ils se rattachent formellement à une des
confessions existant actuellement ? Je ne le pense pas.
Dans la Lettre des
Compagnons du Dharma (fraternelle des maçons bouddhistes) on
peut lire :
« Le RER est
chrétien, œcuménique et ésotérique. Il fait référence au
christianisme « de l'an 0 », pour reprendre une
expression particulièrement heureuse d'un ancien Grand-Maître de la
GLTS-O, Christian Lefèvre. Par ésotérique il faut entendre
intérieur, par opposition aux rites et aux formes extérieures des
différentes confessions. Le christianisme se situe donc au-delà,
plutôt qu'en-deça, des conciles, bulles et dogmes, même des écrits
des Pères de l'Église et de l'histoire particulière des
différentes Églises chrétiennes. Le Rite laisse à chacun ses
références confessionnelles spécifiques et il interdit de les
évoquer, du moins sous une forme polémique.
Sont maintenant admis
au RER [dans certaines
structures, note de FM] juifs, musulmans et chrétiens,
mais aussi bouddhistes. Il est évidemment exigé que les candidats
musulmans ou juifs soient bien informés des spécificités du Rite.
Un commentaire obédientiel [à
la GLTSO] au discours de Jean-Baptiste Willermoz, lu aux
récipiendaires au grade de Maître Écossais de Saint-André,
précise que peuvent être admis « tous ceux qui déclarent
avoir reçu la Lumière de l'Évangile de Jean, quelles que soient
par ailleurs leurs autres croyances ». Autrement dit, tous ceux
qui suivent ce qu'il y a d'universel dans le message de Jésus. »
Être chrétien, pour
moi, se résume à cette courte définition : c'est reconnaître
en Jésus le Christ, c'est-à-dire le Verbe de Dieu manifesté sous
la forme d'un homme, qui est alors l'archétype et le modèle de
l'Homme parfait, le nouvel Adam. C'est dire que le Christ est « la
Vie, la Vérité et la Voie ». Il nous appelle à devenir
nous-mêmes « enfants de Dieu », c'est-à-dire hommes
nouveaux, nouveaux christs, par la pratique de son enseignement et la
méditation sur sa vie.
Il y a ainsi de
nombreuses façons d'être chrétien, selon qu'on adhère à telle ou
telle christologie. « Il y a beaucoup de demeures dans la
maison du Père ».
Être chrétien implique
donc pour moi la croyance en un Dieu unique, Principe de toutes
choses, le Père, inconnaissable en soi et qui n'est rien de
ce qu'on pourrait en dire, selon la tradition apophatique qui existe
dans les Églises mais aussi, par ailleurs, dans les autres grandes
religions.
Cela implique aussi la
croyance en la manifestation de Dieu comme Verbe (« Logos »),
à la fois Loi universelle du monde et message aux hommes. C'est le
Fils. Le texte fondamental concernant le Logos, dans le
contexte chrétien, est le Prologue de l'Évangile de Jean. Le Fils
est la Lumière qui illumine tous les hommes (pas seulement les
chrétiens)
Enfin, cela implique
également la croyance en la présence divine dans le monde, et
particulièrement en l'Homme, en chaque homme. Cette présence est
l'Esprit Saint, et l'une des façons de désigner le but de la
pratique spirituelle, c'est la descente de l'Esprit-Saint sur
l'homme, symbolisée par la Pentecôte.
Dieu s'adresse aux
hommes, toujours et partout, à toute époque et en tous lieux. Il
s'adresse aux hommes dans la langue qui est la leur, dans le cadre du
contexte culturel et religieux du moment.
Aussi, je crois que le
Verbe de Dieu s'est manifesté aux hommes de nombreuses fois, et de
nombreuses manières. Je reconnais donc comme expressions du Verbe de
Dieu, et comme traditions d'origine divine, sans confusion ni syncrétisme, les textes et les
traditions suivantes :
- La Bible hébraïque (Ancien Testament), évidemment, et la tradition juive dans son ensemble ;
- Le Nouveau Testament, bien sûr, mais aussi les textes apocryphes du christianisme, qui témoignent de la multiplicité des traditions rattachées à la personne du Christ Jésus ; l'ensemble des courants du christianisme, orthodoxes ou « hérétiques » sont dignes de respect et d'intérêt ;
mais aussi :
- Le Coran et les traditions de l'islam, très diverses dans leur approche du texte sacré et de la pratique spirituelle ;
- Les Vedas, y compris les Upanishads, et les traditions spirituelles orthodoxes de l'hindouisme ;
- L'enseignement du Bouddha historique Siddharta Gautama Shakyamuni, et les traditions qui en proviennent : bouddhisme theravâda, bouddhisme mahayâna, bouddhisme ch'an et zen, bouddhisme vajrayâna ;
- Le Tao tö-king de Lao-Tseu et les enseignements du taoïsme chinois ;
- Les livres de la religion mazdéenne de l'Iran, notamment après la réforme de Zarathustra, prophète inspiré ;
- Le Guru Granth Sahib, livre sacré des Sikhs...
(liste non exhaustive)
En outre, les traditions
disparues des temps anciens ont pu être également inspirées, et
receler, encore aujourd'hui, des éléments de réflexion et de
méditation pour un disciple du Christ. Je pense notamment aux
traditions de l’Égypte ancienne et à l'hermétisme
alexandrin ; à certains aspects de la philosophie grecque
antique, en particulier Pythagore, Platon et le néo-platonisme ;
aux traditions indo-européennes qui nous sont parvenues, plus
ou moins déformées, à travers les diverses mythologies.
Mais tout message divin,
tout message du Verbe, finit par s'engluer dans le monde humain
historique : les ténèbres ne le comprennent pas. Les hommes
s'en emparent et finissent par l'instrumentaliser au profit de leurs
passions. Toute « religion » au sens large finit par
secréter son propre contraire, c'est-à-dire une pétrification du
message, et la formation d'une « vérité » dogmatique et
enfermante, au lieu d'être un souffle libérateur. La forme est
alors surévaluée au détriment du fond. Le littéralisme et
l'intégrisme sont les signes de cette pétrification. Toutes les
religions connaissent ces dérives. Mais toutes les religions
connaissent aussi la réaction inverse, parfois de façon marginale
voire clandestine, car combattue, pourchassée et opprimée par
l'organisation officielle.
Ainsi, à la limite et de
manière un peu provocante, je dirai qu'il y a de vrais disciples du
Christ dans toutes les religions, comme il y a aussi des ennemis du
Christ dans toutes les religions, y compris dans les Églises qui se
disent chrétiennes.
Ce n'est que par
l'initiation, au sens large et noble du terme, qu'il est possible de
revenir au message initial. Ce n'est que par une herméneutique
spirituelle que le message reste vivant et opérant. Le message divin
a revêtu une forme qui est à la fois voile et dévoilement. Il faut
pénétrer le sens caché des textes, en le vivant réellement,
intérieurement. Le vrai Chrétien est alors celui qui, à l'issue de
son chemin initiatique, a rencontré le Christ qui est en lui, celui
pour qui « ce n'est plus lui qui vit, c'est le Christ qui
vit en lui ».
Au final, je pense qu'il
n'appartient à personne de juger de la conformité de chacun au
message du Christ, au « plus pur esprit du christianisme ».
Dieu seul juge les reins et les cœurs. Mais c'est à ses fruits
qu'on juge l'arbre, et le fruit du christianisme, c'est l'Amour, cet
Agapé qu'on a mal traduit par « Charité », cet
Amour qui n'est pas préférence, mais s'adresse indistinctement à
tous les hommes, et même à toutes les créatures.
Mais, bien sûr, ceci
n'est que mon opinion personnelle. Elle est donc susceptible d'évoluer...
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