mardi 25 février 2014

Quel christianisme ?




La voie spirituelle que je pratique est le Rite Écossais Rectifié.

Or, cette voie est chrétienne : « Oui, l'Ordre est chrétien ; il doit l'être, et il ne peut admettre dans son sein que des chrétiens ou des hommes bien disposés à le devenir de bonne foi » (Rituel de Maître X).

Comment se définir par rapport au christianisme ? De quel christianisme parle-t-on, et qu'est-ce que cela implique dans la vie du Maçon rectifié ?

Au sens sociologique et culturel, nous vivons dans un pays chrétien. La majorité des Français sont baptisés, ont grandi dans une ambiance chrétienne, à divers degrés cependant. Reconnaissons que nos grands-parents connaissaient globalement bien mieux que nous l'Histoire sainte, les grands moments et les personnages des Écritures, et les dogmes fondamentaux de l'Église. La déchristianisation de la France, enclenchée pendant la Révolution française, a beaucoup progressé dans les esprits, et a laissé la place à une vague morale républicaine et droits-de-l'hommiste, doublée d'une méfiance générale envers toutes les religions. La plupart des « chrétiens » sociologiques d'aujourd'hui ne connaissent pas le christianisme, ses doctrines, son histoire. Est-ce à ces « chrétiens »-là que s'adresse le Rite Écossais Rectifié ?

Ou bien, faut-il être un chrétien de foi et de croyance ? Mais de quelle croyance ?
Les dogmes catholiques, orthodoxes, protestants, mais aussi coptes (monophysites), assyriens (nestoriens), ou encore ariens, vaudois ou cathares, divergent grandement, notamment sur la christologie. Ces dogmes sont le résultat d'une plus ou moins longue évolution, et de fixations à certains moments. Dès l'époque du Christ, les opinions divergeaient sur la nature du message et de la personne même de Jésus. Il faut rappeler que ce n'est qu'à partir du 4ème siècle, trois cents ans après sa mort, qu'une série de Concile a fixé – et figé – les principaux éléments de la doctrine, cristallisant ainsi la majorité des Chrétiens, tout en rejetant dans les marges de l'hérésie ceux qui adoptaient un autre choix. Ainsi, au fur et à mesure des Conciles, des Chrétiens sont déclarés non-chrétiens par l'Église, qui se confond avec l'Empire romain. Certains de ces courants existent encore aujourd'hui : les Nestoriens, écartés au Concile d’Éphèse en 431, constituent les Églises assyrienne et malabare orthodoxe ; les Monophysites, sont représentés par les Églises copte, éthiopienne et arménienne. D'autres encore ont disparu, parfois persécutés par l'Église officielle : Ariens, Vaudois, Cathares. Pourtant, tous se réclamaient de Jésus-Christ. Sont-ils moins chrétiens que les Orthodoxes et les Catholiques romains ?

Il me paraît donc évident que, dès le début, il y eut plusieurs façons d'être chrétien, en terme de croyance.
Qu'en est-il pour le Rite Écossais Rectifié ? Jusqu'au grade de Maître Écossais de Saint-André inclus, en tout cas, aucun dogme n'est imposé au Frère. Le nom même de Jésus-Christ n'est mentionné dans les rituels qu'à la fin du 4ème grade.

Alors, être chrétien dépend-il de la participation aux rites et sacrements ? Bien entendu, tout dépend de la confession chrétienne à laquelle on se rattache.
Le baptême, lui-même, revêt des significations différentes selon les Églises. Baptême des enfants le plus tôt possible pour certains, baptême des adultes après un catéchuménat plus ou moins long pour d'autres, le sens et le processus du baptême a beaucoup varié au cours des siècles, et selon les communautés. Pour les Cathares médiévaux – qui se nommaient eux-mêmes « bons chrétiens » – le baptême d'eau n'était pas le plus important, ayant été pratiqué avant la venue du Christ. Ce dernier aurait pratiqué, selon eux, le baptême d'Esprit, ou de feu, par imposition des mains.
Il en est de même de l'Eucharistie, sacrement dont le sens et la pratique varient considérablement selon les confessions : mémorial de la Cène, Pain de Vie, ou corps réel du Christ ?
Le Rite Écossais Rectifié exige-t-il de ses membres qu'ils fréquentent un culte quelconque, ou qu'ils se rattachent formellement à une des confessions existant actuellement ? Je ne le pense pas.

Dans la Lettre des Compagnons du Dharma (fraternelle des maçons bouddhistes) on peut lire :

« Le RER est chrétien, œcuménique et ésotérique. Il fait référence au christianisme « de l'an 0 », pour reprendre une expression particulièrement heureuse d'un ancien Grand-Maître de la GLTS-O, Christian Lefèvre. Par ésotérique il faut entendre intérieur, par opposition aux rites et aux formes extérieures des différentes confessions. Le christianisme se situe donc au-delà, plutôt qu'en-deça, des conciles, bulles et dogmes, même des écrits des Pères de l'Église et de l'histoire particulière des différentes Églises chrétiennes. Le Rite laisse à chacun ses références confessionnelles spécifiques et il interdit de les évoquer, du moins sous une forme polémique.
Sont maintenant admis au RER [dans certaines structures, note de FM] juifs, musulmans et chrétiens, mais aussi bouddhistes. Il est évidemment exigé que les candidats musulmans ou juifs soient bien informés des spécificités du Rite. Un commentaire obédientiel [à la GLTSO] au discours de Jean-Baptiste Willermoz, lu aux récipiendaires au grade de Maître Écossais de Saint-André, précise que peuvent être admis « tous ceux qui déclarent avoir reçu la Lumière de l'Évangile de Jean, quelles que soient par ailleurs leurs autres croyances ». Autrement dit, tous ceux qui suivent ce qu'il y a d'universel dans le message de Jésus. »

Être chrétien, pour moi, se résume à cette courte définition : c'est reconnaître en Jésus le Christ, c'est-à-dire le Verbe de Dieu manifesté sous la forme d'un homme, qui est alors l'archétype et le modèle de l'Homme parfait, le nouvel Adam. C'est dire que le Christ est « la Vie, la Vérité et la Voie ». Il nous appelle à devenir nous-mêmes « enfants de Dieu », c'est-à-dire hommes nouveaux, nouveaux christs, par la pratique de son enseignement et la méditation sur sa vie.



Il y a ainsi de nombreuses façons d'être chrétien, selon qu'on adhère à telle ou telle christologie. « Il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père ».

Être chrétien implique donc pour moi la croyance en un Dieu unique, Principe de toutes choses, le Père, inconnaissable en soi et qui n'est rien de ce qu'on pourrait en dire, selon la tradition apophatique qui existe dans les Églises mais aussi, par ailleurs, dans les autres grandes religions.

Cela implique aussi la croyance en la manifestation de Dieu comme Verbe (« Logos »), à la fois Loi universelle du monde et message aux hommes. C'est le Fils. Le texte fondamental concernant le Logos, dans le contexte chrétien, est le Prologue de l'Évangile de Jean. Le Fils est la Lumière qui illumine tous les hommes (pas seulement les chrétiens)

Enfin, cela implique également la croyance en la présence divine dans le monde, et particulièrement en l'Homme, en chaque homme. Cette présence est l'Esprit Saint, et l'une des façons de désigner le but de la pratique spirituelle, c'est la descente de l'Esprit-Saint sur l'homme, symbolisée par la Pentecôte.

Dieu s'adresse aux hommes, toujours et partout, à toute époque et en tous lieux. Il s'adresse aux hommes dans la langue qui est la leur, dans le cadre du contexte culturel et religieux du moment.

Aussi, je crois que le Verbe de Dieu s'est manifesté aux hommes de nombreuses fois, et de nombreuses manières. Je reconnais donc comme expressions du Verbe de Dieu, et comme traditions d'origine divine, sans confusion ni syncrétisme, les textes et les traditions suivantes :
  • La Bible hébraïque (Ancien Testament), évidemment, et la tradition juive dans son ensemble ;
  • Le Nouveau Testament, bien sûr, mais aussi les textes apocryphes du christianisme, qui témoignent de la multiplicité des traditions rattachées à la personne du Christ Jésus ; l'ensemble des courants du christianisme, orthodoxes ou « hérétiques » sont dignes de respect et d'intérêt ;
mais aussi :
  • Le Coran et les traditions de l'islam, très diverses dans leur approche du texte sacré et de la pratique spirituelle ;
  • Les Vedas, y compris les Upanishads, et les traditions spirituelles orthodoxes de l'hindouisme ;
  • L'enseignement du Bouddha historique Siddharta Gautama Shakyamuni, et les traditions qui en proviennent : bouddhisme theravâda, bouddhisme mahayâna, bouddhisme ch'an et zen, bouddhisme vajrayâna ;
  • Le Tao tö-king de Lao-Tseu et les enseignements du taoïsme chinois ;
  • Les livres de la religion mazdéenne de l'Iran, notamment après la réforme de Zarathustra, prophète inspiré ;
  • Le Guru Granth Sahib, livre sacré des Sikhs...
(liste non exhaustive)

En outre, les traditions disparues des temps anciens ont pu être également inspirées, et receler, encore aujourd'hui, des éléments de réflexion et de méditation pour un disciple du Christ. Je pense notamment aux traditions de l’Égypte ancienne et à l'hermétisme alexandrin ; à certains aspects de la philosophie grecque antique, en particulier Pythagore, Platon et le néo-platonisme ; aux traditions indo-européennes qui nous sont parvenues, plus ou moins déformées, à travers les diverses mythologies.

Mais tout message divin, tout message du Verbe, finit par s'engluer dans le monde humain historique : les ténèbres ne le comprennent pas. Les hommes s'en emparent et finissent par l'instrumentaliser au profit de leurs passions. Toute « religion » au sens large finit par secréter son propre contraire, c'est-à-dire une pétrification du message, et la formation d'une « vérité » dogmatique et enfermante, au lieu d'être un souffle libérateur. La forme est alors surévaluée au détriment du fond. Le littéralisme et l'intégrisme sont les signes de cette pétrification. Toutes les religions connaissent ces dérives. Mais toutes les religions connaissent aussi la réaction inverse, parfois de façon marginale voire clandestine, car combattue, pourchassée et opprimée par l'organisation officielle.

Ainsi, à la limite et de manière un peu provocante, je dirai qu'il y a de vrais disciples du Christ dans toutes les religions, comme il y a aussi des ennemis du Christ dans toutes les religions, y compris dans les Églises qui se disent chrétiennes.

Ce n'est que par l'initiation, au sens large et noble du terme, qu'il est possible de revenir au message initial. Ce n'est que par une herméneutique spirituelle que le message reste vivant et opérant. Le message divin a revêtu une forme qui est à la fois voile et dévoilement. Il faut pénétrer le sens caché des textes, en le vivant réellement, intérieurement. Le vrai Chrétien est alors celui qui, à l'issue de son chemin initiatique, a rencontré le Christ qui est en lui, celui pour qui « ce n'est plus lui qui vit, c'est le Christ qui vit en lui ».

Au final, je pense qu'il n'appartient à personne de juger de la conformité de chacun au message du Christ, au « plus pur esprit du christianisme ». Dieu seul juge les reins et les cœurs. Mais c'est à ses fruits qu'on juge l'arbre, et le fruit du christianisme, c'est l'Amour, cet Agapé qu'on a mal traduit par « Charité », cet Amour qui n'est pas préférence, mais s'adresse indistinctement à tous les hommes, et même à toutes les créatures.



Mais, bien sûr, ceci n'est que mon opinion personnelle. Elle est donc susceptible d'évoluer...



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